Fiction - Le syndrome de Sevran

Chapitre 20
Ils sont très gentils mais…

Dimanche 30 août 2015

Au milieu de ce flot de mauvaises nouvelles, l’AS Sevran a tout de même un minimum de bonheur, la trêve internationale s’applique également aux clubs de Ligue 2, et tout le monde a deux semaines pour se remettre du KO subi contre Valenciennes et pour préparer un plan alternatif pour le déplacement au Havre pour pallier aux absences de Gabriel, blessé et de Konstantínos, suspendu.

Enfin presque tout le monde, les équipes de jeunes n’ont pas le même calendrier, et dès le surlendemain de l’éprouvante réception de Valenciennes, il leur revient d’apporter une lueur d’espoir au club avec un match à domicile a priori facile contre Rouen.

Malheureusement, la préparation du match n’est pas optimale, outre l’atmosphère de plus en plus détestable autour du club et l’épisode caniculaire qui n’arrange pas tout le monde dans l’équipe, la pression s’intensifie de par le fait que monsieur Miyazaki et sa fille se sont décidés à regarder le match du jour en tribunes.

Lors de l’échauffement, un joueur rouennais, probablement sur les dents depuis que son père est au chômage suite à une délocalisation de l’activité de son usine en Chine, a l’excellente idée de beugler des injures anti-asiatiques à la tribune pendant que les arbitres sont retournés aux vestiaires. Monsieur Miyazaki et sa fille ne comprenant pas tous les raffinements de la langue française, les insultes n’ayant pas été une priorité dans leur apprentissage express de la langue locale, c’est Tomi, le traducteur du club, qui remet cet impertinent à sa place.

Entendant la dispute, Bruno et Valentino sont étrangement attirés, et se rapprochent des tribunes d’un air franchement belliqueux, un échange de mots très rude a alors lieu entre le chantre du Made In France et le bouillant duo latin. Sans comprendre le riche vocabulaire des trois hommes, Kasumi comprend que ça sent un peu le souffre, et se décide à descendre des tribunes pour convaincre Valentino et Bruno de se calmer avant le match.

Mais notre général MacArthur du XXIe siècle est particulièrement inspiré en cette belle journée ensoleillée et se risque à dire qu’on n’a rien demandé à cette pute bridée. Entendant l’injure, Tomi bondit à son tour sur le terrain, afin d’empêcher Bruno de corriger l’impoli comme il se doit, cela ne donnerait pas une bonne image du club.

Mais l’interprète n’est pas au bout de ses peines, il entend distinctement Valentino dire à Bruno qu’il ne peut pas laisser passer l’affront qui a été porté à la famille Miyazaki. Il faut dire que les deux jeunes joueurs étaient là le jour de la visite de monsieur Miyazaki et ils ont bien compris que si Kasumi n’avait pas eu pitié d’eux, ils seraient actuellement dans un club en ruines au lieu d’être dans un club en crise.

Quelques minutes plus tard, le match s’apprête à commencer dans une atmosphère particulièrement lourde. Après une première action sevranaise terminée par un tir trop décroisé d’Esteban, les rouennais récupèrent le ballon. Il ne faudra pas plus de quelques secondes pour que les craintes de Tomi se confirment, après un contact violent sous prétexte de récupération de ballon, on entend un cri strident de l’insolent rouennais, dont la cheville a été écrasée par le pied expert de Valentino.

Bien vite, les esprits s’échauffent, les joueurs des deux côtés divergeant fortement sur le caractère volontaire du geste, et Bruno, jamais à court de bonnes idées, se décide à parachever la vengeance de Kasumi en initiant une belle bagarre générale devant des arbitres totalement désemparés et sous le regard consterné de Tomi, qui est pourtant amateur de rugby suite à un séjour prolongé à Clermont-Ferrand.

De son côté, monsieur Miyazaki ne peut que constater que ses joueurs sont très gentils de défendre ainsi l’honneur de sa fille, mais qu’ils sont aussi très cons, les conséquences de tels actes ne risquant pas véritablement de plaider pour une intégration en équipe première vu la mentalité du coach Diaz. Il aurait bien sûr été plus raisonnable de recruter quelques jeunes de la cité pour mener une expédition punitive à Rouen.

Après quatre minutes de festivités, l’arbitre sévit et exclut Valentino, Bruno et un joueur rouennais qui a trop facilement répondu aux provocations du jeune portugais avant de distribuer sept cartons jaunes, quatre côté rouennais et trois côté sevranais, alors que l’impoli est évacué vers l’hôpital le plus proche, à la plus grande joie du public.

Dix cartons sur la même action, voilà qui donne l’envie à certains joueurs de battre la performance du Portugal-Pays-Bas de la Coupe du Monde 2006, à commencer par Esteban qui parfait son intégration aux rites sevranais d’un très beau tacle par derrière alors que le quart d’heure de jeu n’est pas atteint, alors qu’il plaide la maladresse d’attaquant, il a le bonheur de voir sa victime répliquer d’un coup de tête, qui remet les équipes à égalité numérique, alors que le jeune attaquant espagnol écope seulement d’un carton jaune.

Alors qu’en vestiaires, Bruno et le rouennais exclu avec lui continuent de s’écharper, Valentino subit une double peine, non seulement exclu du match, il doit également supporter les ragots contés par la kiné anglaise de l’équipe de jeunes, qui ne manque pas une occasion de dénigrer sa collègue norvégienne de l’équipe première en sous-entendant qu’elle s’amuserait à allumer la moitié des joueurs, en particulier les plus jeunes. Ceci dit, si la chose est vraie, cela donnera au moins un peu de divertissement à Gabriel durant sa convalescence.

Son calvaire sera interrompu par l’arrivée d’Esteban aux vestiaires cinq minutes plus tard, le jeune espagnol étant exclu à son tour suite à un deuxième carton jaune reçu pour un geste d’humeur sur le portier adverse qui a eu l’outrecuidance d’effectuer une sortie virile alors qu’il semblait parti pour inscrire le deuxième but sevranais.

A la mi-temps, à l’exception de Tomi qui craint des effets à long terme pour l’équipe, le public est particulièrement enthousiaste devant un tel déferlement de violence, les deux équipes sont réduites à 8, et pour ne rien gâcher, l’AS Sevran mène 4-1 grâce à Khalid qui est le seul joueur sur le terrain à avoir gardé son calme durant la première mi-temps.

Le coach est un peu moins enthousiaste, mais Valentino parvient à l’attendrir en lui faisant croire que le contact était parfaitement accidentel et qu’il est sincèrement attristé par les conséquences sur la santé de son adversaire. Quoi qu’il en soit, il demande une deuxième mi-temps qui joue un peu moins sur le fanservice, il ne faudrait pas perdre sur forfait.

Grâce à son petit numéro, Valentino a obtenu le droit de quitter prématurément le stade en compagnie de Bruno et Esteban. Les trois hommes décident alors de tirer profit de ce temps libre pour préparer une belle fête d’anniversaire pour Gabriel le surlendemain, leur camarade étant convalescent, autant faire en sorte qu’il s’amuse bien.

Connaissant les goûts de Gabriel, Bruno et Valentino font découvrir à Esteban le sex-shop le plus proche de leur lieu d’entrainement. Valentino étant encore mineur pour quelques mois, il exhibe fièrement sa licence à l’AS Sevran lorsque la vendeuse lui demande une pièce d’identité.

Esteban découvre alors les vertus du précieux sésame, la vendeuse, non contente de laisser entrer Valentino, tient absolument à le conseiller sur les nouveautés du moment, la popularité de l’équipe étant bien plus liée à la générosité de son propriétaire qu’aux résultats sportifs. Bruno se dit que si elle est prête à faire ça pour le premier jeune de l’équipe venu, il n’ose pas imaginer ce qu’elle ferait à Gabriel si il était venu en personne. Esteban, lui, l’imagine parfaitement.

Etant donné que Gabriel, malgré son rythme diabolique, est encore obligé de dormir seul une nuit sur dix, ses camarades décident de mettre fin à ce manque scandaleux, et par conséquent, ils estiment qu’une poupée gonflable réaliste serait le meilleur présent à lui offrir. Par chance, le magasin dispose d’une offre particulièrement variée, le modèle à l’effigie d’Emma Watson rencontrant par exemple un certain succès, mais malheureusement Gabriel n’est pas fan d’Harry Potter.

La vendeuse suggère alors de se tourner vers Star Wars et propose une poupée Natalie Portman, mais Bruno et Valentino imaginent vite la catastrophe si on filait une poupée casher à Gabriel. Les poupées à l’effigie de Taylor Swift et de Selena Gomez sont recalées avec le même entrain, offrir ça à un fan de rap comme Gabriel, ce serait l’équivalent d’insulter l’ensemble de sa famille, chien compris.

Finalement, sur les bons conseils de Valentino, le groupe se décide à prendre la poupée à l’effigie de Maria Ozawa, ça rendra hommage au bienfaiteur du club, et ça fera du changement pour Gabriel, ce n’est pas à Sevran qu’il enchainera cinq asiatiques en une soirée.

La future poupée de Gabriel n’est pas la seule asiatique à avoir l’impression de se faire niquer en cette fin d’été à Sevran. En effet, le lundi matin est quelque peu délicat pour la famille Miyazaki, le maire de Sevran, a décidé de refuser de délivrer le permis de construire du nouveau stade après une longue réflexion.

Réflexion menée pour des raisons aussi nobles que rassurer les écologistes locaux qui ne voulaient pas d’un tel chantier, que rallier le Parti Communiste Unifié qui reste très influent localement, et qui avait mené une croisade contre la dérive commerciale du club de football local et s’attirer les faveurs de quelques associations de riverains.

C’est forcément un choc, le père de Louis, influent adjoint, avait pourtant mis ses 110 kilos dans la balance pour soutenir le projet, mais le maire a préféré solidifier quelques niches électorales, se disant que club ou pas, les populations des quartiers sensibles le soutiendront éternellement pour avoir remis à sa place le précédent ministre de l’intérieur qui avait utilisé de sombres expressions telles que “racaille” lors de sa dernière venue à Sevran, plutôt qu’écouter un de ses plus fidèles lieutenants.

Le premier réflexe de monsieur Miyazaki est bien sûr d’essayer de trouver une parade légale, pour cela, il faut trouver un avocat maitrisant un minimum les questions sportives. Par chance, Tomi en a un parmi ses connaissances, un suédois nommé Mats, installé en France depuis plusieurs années, mais il se demande si c’est une bonne idée, l’homme ayant un style très particulier.

Ne refusant jamais une solution facile, monsieur Miyazaki se dit qu’il fera l’affaire. C’est ainsi que trois heures plus tard, un type aux airs d’acteur de film pornographique allemand des années 1970 se pointe à l’appartement de la famille Miyazaki. Dans un premier temps, la sécurité croit à un usurpateur, et réagit donc avec son calme habituel en infligeant un bon coup de taser à l’audacieux.

Alors que monsieur Miyazaki commence à se demander qui sont les plus stupides entre ses joueurs et ses agents de sécurité, Tomi et Boubacar, le directeur général du club, briefent Mats qui n’a pas été secoué plus que ça par le choc électrique, il a vu bien pire à des soirées sadomasochistes organisées par le magasine “Frappe-moi avec une fourche”.

Analysant la situation, Mats fait rapidement un double constat, l’argumentaire du maire étant fallacieux, il n’y aurait pas de difficultés à faire annuler une pareille décision en justice. Mais il subsiste un problème, la procédure prendrait au mieux plusieurs mois, au pire plusieurs années.

Le club serait voué à louer un autre stade, qui plus est loin de ses terres, pendant plusieurs saisons en cas d’accession en Ligue 1, le stade Alfred Nobel n’étant manifestement pas assez grand, sans compter que le fait de partager un terrain avec ces barbares de rugbymen est totalement insupportable pour des footballeurs si délicats que ceux qui composent l’effectif de l’AS Sevran.

Bien inspiré par ses manigances autour du baccalauréat, Tomi se demande si le mieux ne serait pas de chercher à contourner les règles, par exemple en faisant construire le stade sur un terrain à proximité immédiate de la ville. L’idée est séduisante, et monsieur Miyazaki charge bien vite Boubacar de prendre contact avec le député de la circonscription, glisser une petite quenelle au maire qui a essayé de piquer sa place il y a quelques années ne sera sans doute pas pour lui déplaire.

Alors que les éminences du club trinquent à la réussite de cette opération de contournement, Valentino, qui a eu vent du refus du permis de construire et qui se doute bien qu’il y a des motivations politiques sous la décision, déboule l’air remonté à la permanence locale du Parti Communiste Unifié, dans l’espoir de s’entretenir avec son camarade Allan.

Le ton adopté par Valentino n’est pas franchement amical, qu’il y ait sodomie sur mouche non consentante pour le maillot, passe encore, chacun son fétichisme, Allan ce sont les symboles, lui ce sont les jeunes femmes déguisées en infirmières, chacun son trip. Mais le blocage d’un chantier qui aurait donné du travail à de nombreux habitants du coin, à commencer par tous les frères de Bruno, ça passe moins bien.

Allan dit fermement que parfois, il faut savoir faire passer l’honneur avant la raison, comme ce qu’il a fait en broyant la cheville du joueur rouennais la veille alors qu’il risque de manger une suspension bien corsée, faisant donc stagner sa carrière.

Son imposant camarade lui répond qu’il y a une différence fondamentale entre leurs sens de l’honneur, c’est que le sien n’a nui qu’à lui même et à l’autre fumier raciste, alors que celui d’Allan risque de pénaliser toute la cité. Il se demande ensuite comment un mec aussi généreux qu’Allan a pu devenir aussi égoïste au contact de la politique, plus intéressé par son image que par les gens avec qui il a grandi.

Alors que Valentino s’apprêtait à tourner le dos à Allan, il revient vers lui et lui dit l’air plus menaçant que jamais : “Si tu nous faire encore barrage une seule fois, je te détruirai comme j’ai détruit ce minable.”.
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