Fiction - Le syndrome de Sevran

Chapitre 26
Inventer une nouvelle langue

Samedi 9 janvier 2016

L’atmosphère est électrique au stade Alfred Nobel pour le premier match de l’année 2016 et de la phase retour du championnat de Ligue 2. La réception de Lens, un prétendant sérieux à la montée s’annonce cruciale, une victoire, ce serait une quatrième place à égalité de points avec le troisième.

Bien sûr, barbiche a décrété que seuls les deux premiers monteraient, mais à Sevran tout le monde compte sur Laurent Limagna, le père de Louis et vice-président du club et l’ensemble des dirigeants de Ligue 2 pour faire en sorte que la fédération le fasse plier.

Sur le plan sportif, l’équipe reste sur un nul encourageant sur le terrain du leader dijonnais, la défense semble au point et le retour de Gabriel fait se dissiper une part du casse-tête offensif. Après les expérimentations farfelues du début de mandat du coach Diaz, il s’est rabattu vers une tactique beaucoup plus classique, un 4-4-2 diamant.

Alejandro reste bien sur inamovible dans les buts, la ligne défensive est désormais composée de quatre éléments, Marc a reculé pour rejoindre Alexey dans l’axe de la défense, laissant Abdel et Mohamed prendre les couloirs. Pierre est désormais le seul milieu défensif, Khalid profite de la blessure de Mateo pour prendre le côté gauche et Mamadou le côté droit, faisant de Konstantínos le seul meneur de jeu. La pointe de l’attaque est occupée par le duo Gabriel/Louis.

En tribunes, Esteban et Bruno marquent leur retour, ce n’est pas de gaieté de coeur vu l’indigence des derniers matchs, mais la soeur de l’attaquant espagnol, de visite en France, insistait pour voir un match avec son petit frère et Esteban ne voulait pas rester seul avec elle, lui expliquer dix fois le hors-jeu dans le même match, ce serait surhumain.

Du coup, au studio vidéo, Valentino est seul avec Laura, découvrant le concept initialement prévu pour Esteban. C’est un concept très épuré, ici, il n’est nullement question de bouteilles de lait ou de piments, c’est un strip-FIFA très basique avec l’actrice X russe Natalia Piskareva en guise de perdante.

Valentino comprend vite pourquoi Esteban l’a choisi lui et non Bruno, connaissant son ami portugais, il serait capable de jouer n’importe comment en reluquant Natalia toutes les trente secondes. Lui, par contre, est un vrai pro, bimbo ou pas, un match c’est un match.

Cependant, il reste quelque peu inquiet, l’actrice pour attirer les ados en manque, c’est parfait, mais même si c’est la majorité du public, on risque un peu de perdre le public féminin. Laura lui recommande de faire exprès de prendre un but pour montrer ses muscles. En soulevant son t-shirt à manches longues il dit à Laura qu’il n’est pas sur que les mecs velus ce soit ce qui séduise le plus. Mais elle le rassure, disant qu’avec son look d’homme des cavernes, personne ne s’attendait à ce qu’il soit imberbe et qu’un peu de virilité ça ne fait pas de mal, ça reste la chaine Youtube d’une équipe de foot, pas un magazine gay stéréotypé.

Au stade, les choses sérieuses commencent. Dès la première minute, les sevranais tentent de partir de l’avant sur une percée de Khalid, mais celui-ci se fait subtiliser le ballon par un défenseur adverse. Celui-ci, sous la pression d’un Gabriel remonté, renvoie le ballon loin devant, c’est alors qu’Alexey perd l’équilibre en essayant de contrôler le ballon, qui est alors intercepté par le buteur adverse qui est lancé seul vers le but sevranais. Malgré une tentative de retour désespérée d’Abdel, celui-ci peut initier son duel avec Alejandro et le remporter.

Le stade, d’ordinaire si bruyant, est devenu totalement silencieux suite à un tel coup du sort. Le seul à parler est Bruno qui ne peut pas s’empêcher de dire à Esteban, que si le but sur le terrain est de faire des conneries il peut parfaitement les faire tout seul et pour bien moins cher que les titulaires.

Malgré ce coup de bambou, l’avant-garde conserve sa sérénité et les sevranais dominent le premier quart d’heure, donnant plusieurs coups de semonce, une frappe de Konstantínos en bout de course qui passe quelques centimètres au dessus à la cinquième minute, un corner du même Konstantínos pour une tête de Gabriel repoussée sur la ligne à la huitième minute ou encore un superbe une-deux entre Khalid et Louis qui se termine par une frappe sur le poteau du second cité à la treizième minute.

A la seizième minute, les lensois s’offrent leur deuxième escapade en surface adverse du match, mais Alejandro bloque facilement la frappe molle du buteur de l’équipe visiteuse. Son renvoi est en revanche exécuté de manière désastreuse, un rebond malheureux repousse le ballon vers le meneur de jeu lensois qui peut filer vers les cages sevranaises. Alejandro, trop soucieux de racheter sa bévue essaie maladroitement de reprendre le ballon mais ne fait qu’accrocher son adversaire en pleine surface.

Le pénalty et le carton rouge qui s’en suivent offrent un périlleux dilemme tactique au coach Diaz. A potentiellement 0-2 et 10 joueurs contre 11, faut-il favoriser la défense ou l’attaque ? Au final, le coach Diaz tente une solution polyvalente pour aviser au fil du match. Le malheureux Mamadou sort après moins de vingt minutes de jeu pour céder sa place à Daniel, le portier polonais étant devenu la doublure d’Alejandro. Sur le terrain, Khalid change de côté pour glisser à droite, laissant Louis sur l’aile gauche et Gabriel seul en pointe.

Sans avoir touché la balle auparavant, Daniel ne peut pas faire de miracles, et les lensois mènent déjà 2-0 à la plus grande consternation d’Esteban et Bruno, même en voulant prendre la place de ceux qui sont sur le terrain, ce genre de scénario n’est pas franchement agréable à vivre.

En supériorité numérique, les lensois essaient de contrôler et ralentir le jeu, cela n’apporte pas grand chose face à une défense sevranaise bien en place qui ne panique pas excessivement après ces deux coups du sort. Encore pire, Marc, fort de son bagage de milieu de terrain, exécute plusieurs belles relances, dont une qui met Louis en situation idéale face au portier lensois, mais l’ailier franco-gabonais pousse son ballon trop loin.

Alors que les deux équipes semblent se diriger vers un score de 0-2 à la mi-temps, les lensois obtiennent un coup franc à 25 mètres des buts à un peu plus d’une minute de la mi-temps. La frappe du tireur sang et or est limpide et va échouer dans la lucarne d’un Daniel médusé. L’addition est particulièrement salée à la mi-temps, trois buts de retard et une infériorité numérique. Le coach Diaz se dit qu’il ne devra pas seulement trouver les mots, mais carrément inventer une nouvelle langue.

Dans les vestiaires, c’est Mohamed, capitaine de circonstance, qui relance le moral de ses troupes qui maudissaient le sort, en les incitant à être les seuls auteurs de leur destin lors des 45 minutes à venir, nul ne peut faire abdiquer sa fière troupe sans leur consentement, la moindre parcelle de pelouse doit devenir l’enfer sur terre pour ceux qui se mettront en travers de leur chemin.

Il faut cependant un résultat rapide pour qu’un tel discours fasse pleinement son effet, le coach Diaz se décide à envoyer au diable la prudence, Marc remonte à son poste de milieu défensif, Pierre se cale sur le côté droit, Khalid repart sur le côté gauche et Louis retourne en pointe, ce sera tout ou rien en ce début de deuxième mi-temps.

Surpris par cette charge rapide, les lensois paniquent en défense, voyant ses adversaires déstabilisés par le nouveau placement de Pierre, Marc le vise abondamment dans les premières minutes de ce second acte. Et à la 51e minute, il trouve Pierre parfaitement isolé sur le côté droit, celui-ci a tout son temps pour centrer et trouver la tête de Louis qui débloque le compteur des locaux.

Dans les minutes suivantes, le combat change totalement d’âme, pourtant en supériorité numérique, les lensois paniquent totalement face au jeu très agressif des sevranais, une frappe de loin de Khalid trois minutes après la réduction du score sonne un premier avertissement, puis c’est un corner envoyé par Konstantínos sur Marc qui enlève trop sa volée qui fait trembler les visiteurs.

A l’heure de jeu, le même Konstantínos voit un espace béant entre les deux défenseurs centraux lensois, il y envoie le ballon, et c’est Louis qui va le chercher, laissant s’exprimer sa fameuse foulée de guépard. Ce coup-ci, il ne loupe pas son duel, il lobe tranquillement le portier adverse qui tentait de s’emparer de la balle au sol et ramène les locaux à un seul but de leurs rivaux à une demi-heure de la fin.

Le stade Alfred Nobel, censé un quart d’heure plus tôt être le parc d’une longue promenade tranquille pour les lensois se transforme peu à peu en véritable guet-apens, le public est incroyablement bruyant, le scénario oppressant et les contacts imposés par les locaux très rugueux.

Quatre minutes après le deuxième but sevranais, les locaux se montrent une fois de plus à l’offensive, Khalid réussit un superbe coup du sombrero sur le défenseur latéral adverse et se retrouve seul sur l’aile gauche, malheureusement son centre en retrait vers Gabriel est trop mou et ne viendra pas récompenser son action comme il se doit.

Sur le renvoi consécutif à cette action, Louis tente de se montrer agressif à la conquête du ballon et tacle un défenseur adverse d’un geste extrêmement maladroit d’attaquant. Alors que la victime du tacle reste longuement au sol, entourée du staff médical de l’équipe visiteuse, les arbitres discutent tout aussi longuement entre eux. Les joueurs lensois réclament une sanction, alors que Konstantínos va gentiment les chambrer à coups de “elle a rien votre tarlouze”.

Malheureusement, le très brillant argumentaire de Konstantínos ne sera pas entendu, et Louis sera exclu pour ce fait de jeu, laissant ses partenaires à neuf, chose qui ne manque pas d’irriter le public local qui reste cependant sobre dans ses invectives, en ne menaçant l’arbitre que d’un viol dans un parking de la cité.

Alors qu’il reste environ vingt minutes, le coach Diaz décide une nouvelle fois de prendre la décision la plus risquée en faisant entrer Hugo afin d’avoir un second attaquant de pointe sur la pelouse, il choisit de faire sortir Marc qui lui semblait décliner depuis quelques minutes. Konstantínos part sur l’aile droite, son poste de prédilection, alors que Pierre reprend la place de Marc comme milieu défensif, il n’y a plus de meneur de jeu à proprement parler.

Avec une défense désarmée, les sevranais laissent forcément quelques opportunités en chemin à leurs visiteurs, à la 79e minute, le buteur lensois déborde un Alexey épuisé sur une longue passe, mais il tergiverse trop et Mohamed revient sur lui comme une fusée et lui subtilise le ballon qu’il renvoie loin devant, sur la tête de Khalid qui le dévie lui-même sur Konstantínos qui tente une frappe de l’entrée de la surface qui ne passe qu’à une dizaine de centimètres du poteau droit des visiteurs.

Plus la montre s’égrène, moins les lensois acceptent de prendre l’initiative malgré leur double supériorité numérique, et un immense frisson parcourt tout le stade lorsque sur un des derniers coups francs de la rencontre, Konstantínos place le ballon dans la boite, mais malheureusement, Hugo se montre une fois de plus faible dans les moments décisifs et envoie le ballon dans les tribunes du stade Alfred Nobel.

Alors qu’il reste deux minutes dans le temps réglementaire, les lensois sont bien en place et ne veulent pas laisser d’espace pour tirer. Qu’importe, Gabriel tente d’une position improbable, dans un angle que beaucoup qualifieraient d’impossible, sa tentative surprend totalement le portier adverse, qui paniquant, laisse filer le ballon entre ses jambes, permettant à l’AS Sevran d’égaliser devant un public en délire qui invite les visiteurs à retourner sodomiser leurs cousines.

En double supériorité numérique, les lensois n’entendent pas laisser filer cette victoire qui leur semblait promise et se regroupent en attaque, côté sevranais on décide vite de se placer pour le contre, Gabriel et Hugo campent donc au milieu du terrain alors que le reste de l’équipe s’est repliée, une victoire obtenue en de telles circonstances serait si éclatante.

Alors qu’on a entamé le temps additionnel depuis deux minutes, les visiteurs obtiennent un coup franc excentré et l’envoient sans réfléchir dans la boite, vigilant, Mohamed le repousse de la tête sur son coéquipier Pierre, celui-ci se lance dans une longue chevauchée pour servir au mieux Gabriel qui se présente seul face au portier adverse.

Plutôt que de tenter de tirer ou de dribbler, Gabriel se tourne vers l’option qui lui semble la plus sûre, une passe en retrait vers Hugo, malheureusement celui-ci manque lamentablement son contrôle et un défenseur adverse de retour peut récupérer le ballon. Il l’envoie loin devant, Pierre tente d’accélérer pour le mettre en touche, mais il est rattrapé par ses 90 minutes d’effort et est débordé par l’attaquant remplaçant lensois qui n’a plus qu’à glisser une petite passe en retrait vers son meneur de jeu pour gommer les 45 dernières minutes en une fraction de seconde.

A l’autre bout de la ville, dans le même temps, Laura organisait un débriefing avec Valentino suite au tournage de sa dernière vidéo pour rechercher les moyens qu’il montre plus d’aisance devant la caméra les prochaines fois. D’un seul coup, Valentino se tait, comme s’il était ailleurs. Laura s’inquiète de son état de santé, mais il la rassure vite en lui disant que c’était juste une petite absence, comme s’il venait de comprendre ce qu’il est arrivé à l’autre bout de la ville.

Le silence est également de mise dans les vestiaires pendant de longues minutes, jusqu’à ce que Gabriel se décide à vider son sac en disant à Hugo qu’il s’était encore fait dessus. Sa seule réponse étant un “Comment tu l’as su ?”, Konstantínos exprime toute sa rage et bouscule violemment son coéquipier. Il faudra vite trouver une nouvelle solution en attaque pour ne plus rater de telles opportunités.

Le soir, Laura est avec Caroline et Tomi pour visionner la vidéo tournée durant l’après-midi, le sujet n’excite pas vraiment ses invités mais la directrice de la communication avait besoin d’un œil neuf avant de valider la publication de la vidéo. Au moment où Valentino encaisse volontairement un but, Tomi s’amuse du fait que Laura ait réussi à le convaincre d’enlever le haut, lui qui se trimballe toujours avec des t-shirts tellement grands qu’ils recouvrent tout sauf ses mains.

Dans le même temps, Caroline a soudainement très chaud, elle se rend compte qu’elle s’est épuisée pendant des mois sur Bruno alors que son coéquipier est nettement plus conforme à son idée de la virilité. Quelques instants plus tard, Tomi remarque même que Caroline est en train de baver, sitôt cette remarque prononcée, Laura déclare que tout est parfait et qu’on peut publier la vidéo.
1 « J'aime »