Fiction - Le syndrome de Sevran

Chapitre 28
On aime le progrès

Mardi 9 février 2016

Le succès plein de maitrise contre Laval semble avoir relancé l’AS Sevran sur de bonnes bases, les succès contre Sochaux, et surtout contre Le Havre, un rival sérieux pour la montée, ont fait du bien au moral et le club se retrouve quatrième à un point du troisième.

Et cette troisième place a enfin retrouvé son importance, grâce à une action concertée des présidents de Ligue 2 à la fédération, barbiche a été contraint à un compromis avec la mise en place d’un match de barrage entre le dix-huitième de Ligue 1 et le troisième de Ligue 2.

Au début, il a voulu s’y prendre sournoisement avec des règles comme le maintien automatique de l’équipe de Ligue 1 en cas de match nul et le fait que celle-ci joue à domicile, mais quand il a vu le regard noir du père de Louis, qui représentait l’AS Sevran lors de la réunion avec les présidents de Ligue 2, il a vite compris qu’il allait devoir mettre un barrage aller/retour pour éviter qu’il y ait une action plus sérieuse. Quoi qu’il en soit avec ce genre de pensées, il faudra tôt ou tard s’occuper de son cas.

La rédaction du journal “Le Collectif” s’était retrouvée très partagée face à ce compromis, dur de faire de lèche aussi ostensiblement après avoir parlé de la décision originale comme d’un “modèle de courage”. Finalement, leur journaliste vedette, Franck Dussod, a trouvé l’alternative imparable, s’en prendre aux présidents de Ligue 2 pour avoir osé défendre leurs intérêts particuliers face à la compétitivité du football français tout entier, dans un éditorial à charge.

Le plan aurait été parfait si ce brave Franck n’avait pas commis l’imprudence de se rendre à la conférence de presse de l’AS Sevran avant le match contre Sochaux. En effet, par une malheureuse coïncidence, le joueur désigné pour faire face à la presse était Louis, qui n’a pas très bien digéré les critiques faites à son père.

Originellement, il a tenté de garder son sang froid, se contenant d’ignorer ouvertement les questions du dénommé Dussod, mais quand celui-ci, vexé que ces gueux osent ne pas lui répondre, a comparé le club à une dictature, le panache de Louis a ressurgi, déclarant, non sans une certaine éloquence : “Toi suce-barbiche, on t’a pas donné la parole. Ton dernier article était tellement marqué de traces de griffes qu’on dirait l’état d’un comptoir après que tu aies récupéré ta monnaie. Casse toi, le sport n’a pas besoin de toi.”.

Certains n’ont pas pu s’empêcher de voir ici de voir une référence à la religion de Franck Dussod, chose qui a valu à Louis beaucoup de critiques dans la presse, mais aussi beaucoup de félicitations à la cité, où manifestement presque tout le monde a beaucoup ri à l’évocation de cette brillante tirade.

Faut-il voir un lien entre cette taquinerie et son absence pour le huitième de finale de Coupe de France contre Ajaccio ? Mystère.

Quoi qu’il en soit, ce huitième de finale est le premier test sérieux des sevranais en Coupe après une succession de tirages cléments qui ont permis à la bande du coach Diaz d’écarter facilement des équipes composées de vrais amateurs, des copains un peu nuls qui font les trois huit à l’usine et qui ne sont pas du tout des joueurs qui ont un passé parmi les équipes de jeunes des grands du pays et qui disposent d’un statut semi-professionnel qui ne dit pas son nom.

On se souvient que les sevranais avaient déjà croisé le chemin des corses, futurs promus, l’an dernier, pour un match, joué dans un vacarme assourdissant, qui fut marqué par la première titularisation de Gabriel et par un scénario haletant qui avait vu les sevranais revenir à 3-4 après avoir été menés 1-4, ne loupant que d’un rien le match nul.

Les attentes des supporters sont élevées, en revanche celles du staff du club semblent moins hautes, la priorité c’est la promotion en Ligue 1, et c’est donc une équipe hybride qui est envoyée sur le terrain. Si ce choix permet à Alejandro de revenir dans les buts pour la première fois depuis le match contre Lens, la défense est en revanche des plus classiques avec l’habituel quatuor Abdel/Marc/Alexey/Mohamed, en partie par quête d’automatismes, en partie parce que le banc sevranais est très restreint dans ce domaine.

Le milieu est un peu plus original, Khalid a enfin le droit de jouer comme meneur de jeu, mais il est encadré par Mamadou Diop, le milieu droit malien qui a vu son temps de jeu fondre passé le début de saison et par deux autres joueurs habituellement en réserve, cela aurait sans doute pu être une opportunité pour Bruno s’il n’avait pas le caractère qu’on lui connait. En attaque, Esteban a le droit à du temps de jeu supplémentaire pour pleinement rentrer dans le rythme de l’équipe première, il est accompagné d’Hugo, qui n’avait pas rejoué depuis son naufrage lensois.

Un brin rancunier, le public conspue copieusement Hugo au moment de la présentation des équipes, certains tentent même de lui envoyer des rouleaux de papier hygiénique au visage, bref on peut dire il y a encore quelques frictions entre l’équipe et son public.

La première conséquence de faire face à une équipe de Ligue 1, qui plus est sans la créativité de Konstantínos au milieu de terrain, c’est que la possession n’est pas vraiment au rendez-vous, mais l’arrière-garde se montre à la hauteur du défi, Alexey réalise sa meilleure mi-temps sous le maillot noir de l’AS Sevran, le buteur corse ne parvenant pas à passer cette maudite montagne russe malgré de nombreux ballons bien dosés en sa direction.

L’action ajaccienne la plus sérieuse de la première demi-heure est un coup franc lointain envoyé dans la surface de réparation sur la tête d’un des défenseurs des visiteurs, de grande taille, mais Alejandro, bien vigilant sur ce coup a repoussé le ballon en corner.

Côté sevranais, la domination ayant donc été laissée aux visiteurs, on opère par contre-attaque. Le procédé est on ne peut plus simple, on balance loin devant et on espère qu’un des trois joueurs offensifs fera des miracles. Cela faisait très longtemps que les sevranais n’avaient pas joué ainsi, et Khalid semble d’ailleurs mal à l’aise dans ce style de jeu où sa technique ne pèse pas autant qu’à l’accoutumée.

A la 34e minute, récupérant le ballon après une-deux mal négocié par l’attaque corse, Marc, qui a bien vu les difficultés de Khalid en ce début de match, fait le choix de viser Esteban loin devant. La passe est très longue, mais le buteur espagnol parvient à arriver à temps pour s’emparer du ballon tout en ayant semé une bonne partie de la défense. Il ne lui reste plus qu’à sprinter vers le but pour s’offrir un duel avec le portier des visiteurs, ce dernier part trop tôt et Esteban parvient à le contourner alors qu’il a déjà plongé au sol. Ainsi, le jeune buteur s’offre son premier but avec l’équipe première de l’AS Sevran et place son équipe en posture idéale dans ce match.

Ce but réveille les ajacciens, mais Alexey reste impérial face à la star des visiteurs, et ceux-ci s’offrent leurs meilleures opportunités sur coups de pied arrêtés, mais Alejandro reste vigilant, que ce soit sur un coup franc direct de 22 mètres bien cadré ou sur une tête consécutive à un corner.

La mi-temps est sifflée sur ce bilan encourageant et c’est la satisfaction qui prédomine côté sevranais où le coach Diaz décide que l’urgence est de ne surtout rien changer. En revanche côté corse, l’entraineur a bien vu les difficultés de son buteur face à Alexey qui semble parfaitement rompu à son style de jeu et prend la très audacieuse décision de le remplacer et de changer l’organisation de son équipe toute entière par la même occasion.

Cette réorganisation muscle encore plus le milieu de terrain corse, et la deuxième mi-temps part sur des bases très élevées pour les visiteurs qui confisquent le ballon et n’hésitent désormais plus à tirer de loin pour espérer bousculer le bloc sevranais, mais ces banderilles sont repoussées par Alejandro qui montre que son autorité n’a pas molli malgré son passage sur le banc.

Ces tirs sont cependant porteurs d’une conséquence, les défenseurs sevranais n’osent plus attendre aussi bas, et à l’heure de jeu, lorsque Abdel se retrouve débordé, il n’y a plus personne pour préserver le flanc droit de l’arrière-garde sevranaise. L’ailier corse a alors tout son temps pour ajuste un bon centre, repris victorieusement de la tête par un de ses milieux de terrain.

Le coach Diaz se retrouve alors face à un dilemme, continuer à défendre et espérer un nouveau contre ou une réussite sur coup de pied arrêté, ou tenter de renverser le match pour éviter une prolongation qui serait difficile à encaisser pour certains joueurs. Il lui semble évident de privilégier l’approche conservatrice en tant qu’outsider, au plus grand mécontentement d’un certain nombre de supporters du club, qui manifestent bruyamment leur désapprobation face à la passivité de leur équipe, Bruno en tête.

L’arrière-garde commence à fatiguer et Alejandro est le seul qui peut arracher des sourires aux supporters, auteur d’un superbe arrêt-réflexe sur un coup franc directement tenté puis vainqueur d’un duel avec l’attaquant remplaçant corse.

Pour le passer, il faut recourir à des techniques pas franchement réglementaires, sur un corner à douze minutes de la fin, il est gêné par l’attaquant adverse ce qui laisse le temps à un défenseur monté pour l’occasion de pousser le ballon au fond des filets, le but est validé malgré les protestations virulentes d’Alexey.

Le coach Diaz se retrouve soudainement forcé de faire partir ses troupes à l’assaut, Gabriel rentre pour les dix dernières minutes et, fait extrêmement rare, l’équipe se retrouve avec trois attaquants de pointe. La puissance de Gabriel se fait sentir lorsqu’il parvient à faire lâcher deux défenseurs adversaires en force, mais malheureusement sa frappe est trop prévisible pour surprendre le portier corse.

Ce geste donne la tonalité de cette fin de temps réglementaire, les trois attaquants sevranais tentant tous au moins deux fois de surprendre le portier adverse, malheureusement Esteban est épuisé et ses frappes sont trop molles et Hugo se montre une fois de plus trop maladroit. Gabriel est donc le plus dangereux, mais sa frappe de loin passe de peu à côté, puis sa tête sur corner est sauvée sur la ligne.

Dans les derniers instants, c’est Khalid, peu visible sur ce match couperet, qui tente le tout pour le tout sur un frappe de loin, mais le portier adverse parvient à la claquer en corner. Sur le corner suivant, tout le monde est dans la boite, Alejandro inclus, et Khalid envoie le ballon dans le paquet, au terme d’une véritable partie de billard, le ballon rebondit sur Alejandro qui amorce une frappe.

Le ballon passe loin des montants adverses, il faut dire que ce genre de geste n’est pas véritablement la spécialité du portier espagnol. Voilà qui sonne le glas des espoirs sevranais en coupe nationale, une nouvelle qui ne va pas forcément déplaire au coach Diaz, concentré sur le championnat.

En revanche, un homme est beaucoup plus contrarié par le déroulement des évènements, c’est Boubacar Traoré, le directeur général du club, l’homme qui avait attiré la famille Miyazaki en Seine-Saint-Denis. Il se rend compte que Luis Diaz est en train de perdre le soutien d’une bonne partie du public sevranais en plus d’avoir des résultats très moyens comparativement aux attentes suscitées par son arrivée un an plus tôt.

Le soir-même de l’élimination de la Coupe de France, Boubacar arrange un rendez-vous secret avec Laurent, le père de Louis et vice-président du club et Tomi, le traducteur officiel du club, garde du corps officieux de Kasumi Miyazaki et éducateur spécialisé pour adolescents violents à ses heures perdues. Tomi a d’ailleurs trouvé un lieu parfait pour maintenir le secret, la base secrète des Power Rangers antifascistes.

Lauren, la kiné anglaise de l’équipe de jeunes est aussi dans le coin. Tomi et Laurent ont estimé qu’elle ne dérangerait pas leurs plans, trouvant elle-même que le coach Diaz est une lavette parce qu’il n’a pas le courage de faire venir Bruno en équipe première. Elle apportera des bières à tout le monde, ça changera du café, à Sevran on aime le progrès.

La petite troupe part d’un constat simple, le jeu de possession, c’est bien joli mais ça n’emballe pas le public local qui est plutôt amateur de gladiateurs virils et impulsifs qui aiment tenter le tout pour le tout, il y a eu un vrai problème de ciblage lors de la période de transition. Si tout se passe bien, le coach Diaz restera encore un petit bout de temps et on aura largement le temps de trouver quelqu’un de mieux adapté au club pour la deuxième phase de l’expansion du club.

Mais s’il y a le moindre souci, que ce soit sportif, populaire ou relationnel, Boubacar a besoin d’un plan B au plus vite pour rassurer son investisseur. Laurent et Boubacar passent alors en revue tous les coachs potentiellement disponibles, mais beaucoup sont trop haut placés pour envisager venir en Ligue 2 française, et les candidats restants ne les emballent pas vraiment.

Il y a bien Marius Evebø, un norvégien qui a écrit neuf manuels de théories sur le football, mais son style de petit bourgeois risque de ne pas emballer la population locale. L’autre nom qui ressort, c’est Iván Riffo, un chilien, mais il a démissionné de son dernier emploi car trop de joueurs arrivaient en retard à l’entrainement.

Laurent croit tenir son idée de génie en proposant le nom d’Alexandra Cooke, la coach de l’équipe d’Australie féminine qui a fait des progrès fulgurants sous sa férule avec un style très offensif. Mais Tomi l’interrompt immédiatement en lui citant les noms de tous les joueurs misogynes de l’effectif, et ça c’est sans compter les supporters ayant les mêmes idées.

Lauren prend alors la parole et évoque le nom de Zoran Knezevic, un serbe qui avait été approché par son ancien club, en Angleterre. Boubacar est pour le moins dubitatif, il faut dire que des joueurs de la dernière équipe qu’il avait entrainée avaient essayé de le balancer dans le Danube en raison de son caractère quelque peu tyrannique. Il faut reconnaitre que huit tours de terrain pour un tacle pas assez appuyé, c’était un peu excessif.

Le groupe évoque d’autres noms, mais le résultat est encore moins concluant. S’il arrive quelque chose, il faudra à la fois choisir parmi une de ces quatre options qui comportent toutes une part importante de risque. Mais il faudra aussi convaincre monsieur Miyazaki et le président Tanaka.

Concernant le président, Laurent assure que ce ne sera pas trop dur, il fait entièrement confiance à son expertise dans le domaine du football. Le vrai problème, ce sera monsieur Miyazaki, et à cet instant tous les regards se tournent vers Tomi qui comprend bien qu’on lui demande désormais de jouer les conseillers sportifs pour le grand chef, ça commence à faire beaucoup de cumuls de fonctions.

Quelle sera sa prochaine tâche ? Dessiner les maillots de la saison prochaine ? Porter le rouleau de papier hygiénique d’Hugo ? Refroidir régulièrement Caroline à coups de karcher pour ne pas qu’elle déraille devant un autre mâle musclé ?
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