Fiction - Le syndrome de Sevran

Chapitre 31
S’en remettre à un miracle

Vendredi 6 mai 2016

Passé la désillusion messine, les sevranais n’avaient plus qu’à s’en remettre à un miracle pour arracher ce barrage. Bien entendu, Gabriel et Louis ont immédiatement fait parler leurs qualités dans ce domaine, le premier cité, plus fervent croyant que jamais, a incité toute la cité à faire péter les records d’affluence à la mosquée et le second ayant commandé un stock de poupées vaudou tel qu’il a envisagé déménager pour pouvoir tout ranger.

Malgré cette dévotion, les appels des sevranais n’ont pas été entendus la semaine dernière, si Gabriel a rempli sa part du contrat en inscrivant le seul but du match contre Bourg en Bresse à un quart d’heure de la fin, ses soutiens divins ont été moins inspirés, Metz ayant triomphé 4-0 à l’extérieur contre une équipe de Dijon qui était censée être leur adversaire le plus dangereux sur la route de la montée.

Ce vendredi marquant la 37e journée de Ligue 2 est donc le soir de la dernière chance, il y a encore 4 points d’écart entre les deux équipes, il faudrait donc gagner contre Dijon, déjà promu mais en roue libre intégrale depuis quelques semaines, côté sevranais tout en espérant que Metz ne gagne pas à domicile contre Tours, équipe de milieu de tableau, dans le même temps pour reporter la décision à la dernière semaine.

Alors que ses détracteurs préparent déjà la guillotine en coulisses, le coach Diaz a longuement hésité sur la manière dont aborder le match, et en voyant sa composition, on peut penser qu’il a senti la lame et a décidé de se faire un ultime plaisir en ressortant son bon vieux 3-6-1 avec une composition inédite.

Alejandro se retrouve comme toujours dans les cages, le trio Abdel/Mohamed/Alexey reforme la défense du début de saison, Pierre et Marc les assisteront dans leur position de milieu défensif. Côté offensif, il y a des choix logiques, avec Louis comme milieu gauche, Khalid milieu droit, Konstantínos meneur de jeu et Esteban en pointe, mais l’idée de faire jouer Gabriel comme deuxième milieu offensif aux côtés de Konstantínos restera probablement le dernier mystère du coach Diaz.

Les premiers instants du match font furieusement penser au début de saison, une succession interminable de passes qui ne met pas vraiment en danger un adversaire qui s’est préparé à jouer très bas, et qui n’aboutit sur aucune occasion significative. Les spectateurs en tribune seraient furieux si une bonne partie d’entre eux ne voulait pas voir le coach Diaz faire ses valises et rentrer en Espagne.

Le jeu de passes sevranais est bien mal récompensé lorsque Alexey rate sa transmission à son portier, laissant l’attaquant dijonnais toucher son premier ballon du match après 14 minutes et l’envoyer presque paisiblement au fond des filets. Inutile de dire que la blague n’est pas du goût de tout le monde, il a fallu l’intervention de Gabriel et Louis pour retenir Konstantínos d’aller fendre le crâne d’un de ses coéquipiers.

Au moins, la rage de Konstantínos se montre productive aujourd’hui, après un corner fort bien tiré mais mal récompensé par une tête mal ajustée par Louis, le vaillant grec décide d’y aller en solo, et après avoir mystifié son cerbère d’un grand pont, il frappe presque instantanément à 25 mètres du but, son tir est limpide et vient nettoyer la lucarne dijonnaise, réveillant enfin le stade, envie de virer Diaz ou pas, ce but est magnifique.

Dans le même temps, une rumeur traverse le stade, Tours a ouvert le score contre Metz, ce match pourrait être plus important qu’on ne ne le croit. Forcément, il y a un grand conflit entre les envies de promotion et l’envie de mettre le coach à la porte, mais bien vite le sport prend le dessus et le stade Alfred Nobel devient soudainement extrêmement bruyant.

Surpris par ce vacarme soudain, les dijonnais ont du mal à communiquer en défense et laissent de plus en plus de failles, Gabriel ne passe pas loin d’envoyer une frappe enroulée dans la lucarne à la demi-heure de jeu, puis c’est Louis qui se distingue, manquant juste d’un peu de précision au terme d’une folle course de soixante mètres.

Gabriel commence même à se faire à son rôle de milieu offensif improvisé, il entame un une-deux avec Esteban, la fusée espagnole finit de semer les défenseurs et lobe tranquillement le portier adverse qui a trop montré son intention de jouer au sol. L’avantage est pris à dix minutes de la pause et l’ambiance a totalement changé.

En attendant la mi-temps, les escarmouches se multiplient devant un public bouillant qui ne demande que ça, les dijonnais ne touchent plus que quelques ballons, mais heureusement pour eux la finition n’est ni là sur la tête de Khalid ni sur le tir lointain de Marc. Metz a égalisé peu avant la pause, il y a donc au retour aux vestiaires un écart virtuel de deux points qui renverrait la décision à l’ultime journée pour le déplacement à Créteil.

La deuxième période reprend sur les mêmes bases, pas de calcul, si le miracle doit se produire, il se produira, les sevranais se projettent vite vers l’avant, une trentaine de secondes après le coup d’envoi, ils obtiennent un corner, la tête puissante de Gabriel sur le service de Konstantínos semble repoussée sur la ligne, mais les joueurs locaux réclament immédiatement une main à l’arbitre du match.

Après avoir vu son assistant, l’arbitre désigne le point de pénalty et exclut le défenseur dijonnais ayant commis la faute. Comme souvent cette saison, c’est Gabriel qui est désigné pour exécuter la sentence, et il garde son compteur parfait parfait sur pénalty d’un tir dans la lucarne gauche, le score est désormais de 3-1.

A onze contre dix, les sevranais peuvent s’amuser, tout y passe, festival de tentatives lointaines, gestes techniques risqués, haranguer le public toutes les deux minutes. C’est d’ailleurs sur un retourné acrobatique consécutif à un corner de Konstantínos que Khalid apporte sa contribution au triomphe sevranais.

Puis, peu après l’heure de jeu, Esteban fait parler la poudre sur une longue passe de Marc, il n’a plus qu’à effacer le gardien avant de pousser le ballon dans le but vide pour inscrire son premier doublé en tant que professionnel. Le but dijonnais à vingt minutes de la fin sur un corner abordé trop légèrement par la défense sevranaise ne viendra pas réduire l’ampleur du triomphe.

En revanche, à Metz, les mosellans ont repris le contrôle de leur match, et prennent l’avantage pour la première fois à un quart d’heure de la fin, avantage qui serait synonyme d’accès au barrage pour eux, mais aussi d’une année de Ligue 2 en plus pour Sevran.

Le stade Alfred Nobel attendra un miracle tourangeau dans les dernières minutes du match, alors que Konstantínos achève les dijonnais d’un coup franc direct à deux minutes de la fin, mais rien n’y fera, le carton 6-2 enregistré ce soir aura été fait pour rien.

A cet instant, le sort de Nacio Rojas, le directeur sportif et de Luis Diaz, l’entraineur, est scellé. En effet, Laurent n’a eu aucun mal à convaincre le président Tanaka de sanctionner l’échec par un renvoi, en bon homme d’affaires, le président n’a eu aucun mal à voir la désaffection des foules envers la politique de l’entraineur, et il est assez intelligent pour savoir que ça ne servirait à rien de construire un stade de 39 000 places pour qu’il reste à moitié vide 90 % du temps.

Maintenant, le plus dur reste à faire, Boubacar, Laura et Tomi doivent convaincre monsieur Miyazaki que Zoran Knezevic est le choix idéal pour remplacer l’espagnol. Il faut dire que son profil fait un peu peur, les équipes coachées par Knezevic ont beau afficher des statistiques offensives impressionnantes, elles affichent aussi des statistiques défensives plus que douteuses, sauf à la limite sur le nombre de blessures infligées.

Autre point noir, l’entraineur serbe a un peu de mal avec les médias, il faut dire que lorsqu’on insinue qu’un journaliste un peu trop collant est le digne héritier de la Gestapo dès sa première conférence de presse, il y a rapidement un petit climat de méfiance qui s’établit.

Et forcément, son caractère tyrannique est mis en doute, si son ancienne équipe a failli le jeter dans le Danube au bout de leur exaspération, vers quoi s’avance t-on avec la bande d’excités de la cité des cerisiers fleuris face à lui ?

Laura a bien étudié tous ces points pour préparer un contre-argumentaire choc, le jeu offensif et agressif, c’est ce que tout le monde veut ici, avec des joueurs de talent comme Konstantínos, Gabriel ou Louis, il y aura le temps de coller 6 pions aux adversaires avant qu’ils en mettent 3, de plus le championnat de France est connu pour être assez conservateur, l’effet de surprise sera avec Sevran.

Concernant les rapports avec la presse, ce n’est pas vraiment une grosse perte, déjà s’opposer à barbiche c’est un gros malus relationnel avec le principal quotidien sportif, garder Louis qui a copieusement taillé Dussod, un deuxième malus, et prendre un coach étranger, c’est carrément la garantie d’être haï pour les cinq prochaines années. Autant miser à fond sur la communication alternative, comme Laura aime tant le faire.

Pour la psychologie du groupe, c’est en effet le gros point faible de coach Zoran qui a parfois du mal à percevoir les limites, Laura a donc l’idée de s’entourer de professionnels, recruter des préparateurs mentaux, comme c’est souvent le cas en Espagne. Au début, c’est vrai que les joueurs hésiteront à voir les psychologues, vu l’image populaire autour d’eux, mais elle est sure qu’au final, les vrais athlètes veulent toujours optimiser leurs performances, il n’y a qu’à voir avec quelle ardeur les jeunes de l’équipe s’entrainent.

Dans son immense bonté, monsieur Miyazaki accède donc à la suggestion portée par Boubacar et Laura, mais précise bien entendu qu’ils seront virés s’il n’y a pas promotion l’an prochain, on reste dans une entreprise capitaliste, pas dans une coopérative tenue par des joueurs de djembé.

Reste maintenant à aborder le cas du directeur sportif. Pour le coup, même Laura semble hésitante face au choix qui a été fait. Takeshi Yamada, un recruteur japonais qui a en réalité fait le gros de sa carrière au Brésil, et qui y a dégoté de belles perles, toute la profession le reconnait comme une valeur sûre pour détecter le potentiel des jeunes.

Il y a juste un tout petit, microscopique problème, il vient juste de sortir de prison comme il aurait quelques copains yakuza, chose qui tendrait à se confirmer par son doigt manquant. Comment vendre ça à un homme d’affaires respectable ? D’ailleurs à l’évocation de ce nom, monsieur Miyazaki est choqué, mais pas pour la même raison que Laura. En effet, nommer son cousin à un tel poste ne serait-il pas vu comme du népotisme ?

Alors que Tomi rassure son patron en disant que ce ne sera pas beaucoup pire que de placer sa fille comme capitaine de l’équipe féminine, Boubacar comprend à son rythme que monsieur Miyazaki a des liens avec les yakuza, pas étonnant qu’il n’ait pas trop eu les jetons de venir à Sevran. En revanche, il serait bon de garder cette information secrète, il ne faudrait pas que certains jeunes du coin demandent à rencontrer les copains du boss en vrai pour voir l’élite de leur profession.

La nouvelle équipe étant fixée, le coach Diaz et son supérieur sont remerciés au lendemain de l’inutile démonstration contre Dijon, l’entraineur de l’équipe de jeunes assumera l’intérim lors du match pour la gloire à Créteil, une volonté de Laurent et Boubacar qui savent qu’il donnera sa chance à Bruno qui a bien mérité ce cadeau pour avoir tenu l’équipe des moins de 19 ans à bout de bras après la montée d’Esteban et la blessure de Valentino.

Au milieu de cette agitation, le club retrouve un peu de joie grâce à l’équipe féminine, le dimanche, les sevranaises scellent leur accession à l’élite grâce à un triomphe 4-1 à l’extérieur contre Arras, Kasumi inscrivant un triplé synonyme de 42e, 43e et 44e buts de la saison, il lui aura bien fallu ça pour avoir droit à quelques matchs qui ne ressemblent pas à des entrainements l’an prochain et accessoirement retrouver ses chances de porter le maillot de l’équipe nationale. Car, soyons honnêtes, le déplacement à Hénin-Beaumont, pour voir Kasumi martyriser 11 amateures, ce n’est pas franchement ce qui emballerait le plus la coach de l’équipe du Japon, alors qu’un match contre les lyonnaises championnes d’Europe, c’est tout de suite un brin plus vendeur.

Ce succès a bien lancé la semaine, le vendredi soir, le déplacement à Créteil sera couronné de succès avec un triomphe 5-1 contre les rivaux qui consolera une partie des fans. Esteban a été particulièrement en jambes pour ce match, l’idée de détruire une équipe dont le nom contient “Lusitanos”, c’est le genre de choses qui le motive.

Cependant, la motivation n’est pas qu’une question d’origines, même contre ses cousins, Bruno s’est montré aussi agressif qu’un roquet, récoltant son premier carton jaune professionnel après 30 minutes de jeu et commettant en tout 8 fautes, chose qui a paniqué son entraineur, mais aussi redonné un peu de mordant physique aux sevranais qui a parfois manqué.

Au lendemain de cet ultime triomphe, les joueurs s’apprêtent à partir en vacances, par ailleurs pour éviter le choc de la saison dernière, Laura a jugé souhaitable de dévoiler les maillots pour la saison 2016-2017 juste avant le départ des joueurs.

L’équipementier a fait le choix de l’agressivité pour le maillot domicile, avec beaucoup plus de rouge adjoint à la parure noire, même le nom du sponsor est de ce coloris. Laura se réjouit d’un visuel bien plus conforme aux attentes du club, Konstantínos, lui, voit juste que ça fait assez mal aux yeux.

La tenue extérieure reste blanche à ornements noirs, c’est sobre et élégant, cependant il était important que cela reste la tenue extérieure chanter “allez les blancs” à Sevran, ça serait quelque peu étrange, déjà que “allez les noirs” ça a du mal à passer chez certains pendant la Coupe d’Afrique des Nations…

Nouveauté, le club a introduit un troisième maillot, il sera vert à motifs blancs, officiellement un moyen de rendre hommage aux racines du club, officieusement pour habituer les gens à ce procédé marketing, comme il n’y a pas de raison de ne pas se faire du fric aussi, monsieur Miyazaki c’est un homme d’affaires pas un moine tibétain. En voyant le maillot, Konstantínos, pas très objectif, crie à l’attentat visuel, mais bon au moins le vert n’est pas de la même teinte que celui de ces chiens du Panathinaïkos.

Laura est un peu maladroite et révèle le bout d’un quatrième visuel à Marc qui était le plus attentif, le milieu défensif lui demande immédiatement ce à quoi ça correspond, Laura lui répond de ne pas y faire attention, ce n’est même pas sûr qu’il finisse par servir à quoi que ce soit…

Fin de la saison 2
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