Et pourtant ! Câest un film incroyable jâen ai fait une critique je la montre, câest zĂ©ro spoil
Grave (Julia Ducournau, 2017)
RĂ©cemment, nombreux de mes visionnages en salles ou face Ă un Ă©cran autre (tĂ©lĂ©vision ou ordinateur) mâont laissĂ© un goĂ»t fortement amer. Trop timorĂ©s, ne prenant pas assez de risques, trop acadĂ©miques, les films visionnĂ©s nâenvisageaient pas le cinĂ©ma hors de sa zone de « confort » : rĂ©cit linĂ©aire et ultra calibrĂ©. Ce nâĂ©tait pas forcĂ©ment mal rĂ©alisĂ© ou mal interprĂ©tĂ©, mais autant sur le fond (sujets convenus et rebattus) que sur la forme (trĂšs hollywoodienne), il nây avait rien de novateur. Je me suis inquiĂ©tĂ© de cette tendance du cinĂ©ma Ă ne rien crĂ©er : chose terrible pour un art. Heureusement pour moi, Julia Ducournau et son premier film Grave (prĂ©sentĂ© Ă la Semaine de la Critique 2016) ont rencontrĂ© ma route.
Dans cette famille profondĂ©ment identique oĂč chacun est vĂ©tĂ©rinaire et vĂ©gĂ©tarien, Justine (incroyable Garance Marillier) semble suivre le chemin tracĂ©. SurdouĂ©e, elle retrouve sa sĆur aĂźnĂ©e dans une Ă©cole de « vĂ©tos » rĂ©putĂ©e. Alors quâelle vient tout juste de sâinstaller, lâheure du bizutage a sonnĂ©. Justine et son colocataire Adrien (le prometteur Rabah NaĂŻt Oufella, dĂ©jĂ vu dans Nocturama de Bertrand Bonello lâan dernier) y prennent part : contraints et forcĂ©s. Câest au cours dudit bizutage que pour la premiĂšre fois de sa vie, Justine goĂ»te Ă la viande. Des sensations nouvelles lui apparaissent. Psychologiquement et physiquement cette dĂ©couverte la mĂ©tamorphose lentement. La petite fille premiĂšre de la classe laisse peu Ă peu place Ă une femme nouvelle.
Traitant dâune jeunesse perdue dans ses dĂ©sirs refoulĂ©s et autodestructeurs, Grave est Ă mettre en lien avec lâexcellent It Follows (David Robert Mitchell, 2014). Les deux films ont Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©s Ă la Semaine de la Critique. Mais outre cet aspect, relativement peu important au final, il sâagit des thĂšmes, de la mise en scĂšne, de ce travail sonore ainsi que de la vision du metteur en scĂšne quâil faut souligner et qui permettent de rapprocher ces deux Ćuvres particuliĂšrement novatrices et encourageantes pour un renouveau du cinĂ©ma. Car oui, la qualitĂ© indĂ©niable et qui me semble premiĂšre dans Grave câest la volontĂ© de Julia Ducournau dâaller jusquâau bout de sa vision. La rĂ©alisatrice ne se censure pas dans sa dĂ©marche crĂ©ative. Et tant mieux, car beaucoup trop de films se sont dĂ©robĂ©s ou ont hĂ©sitĂ© Ă prendre un parti pris et le suivre du dĂ©but Ă la fin. Ce nâest pas le cas ici, puisque lâĆuvre conserve une cohĂ©rence Ă©blouissante. Le propos central nâest pas esquivĂ©. Et cela est appuyĂ© par une mise en scĂšne trĂšs organique et en parfaite adĂ©quation avec le thĂšme majeur du film : le cannibalisme. Pourtant, derriĂšre cette intrigue brute et assez Ă©vidente se terrent des interrogations trĂšs modernes (comme It Follows donc) : rapport Ă la nourriture et aux animaux Ă©videmment, mais aussi aux relations familiales, au sexe, aux dĂ©sirs, aux interdits. Autant dâĂ©lĂ©ments Ă©voquant ces rĂ©cits dâapprentissage mettant lâenfant face Ă ce qui lâattend en tant quâadulte malgrĂ© son envie irrĂ©sistible de sây dĂ©rober.
Par le biais de cette frĂ©nĂ©sie de la chair et du gore tout est chamboulĂ©, tout est mĂ©tamorphosĂ©, des corps au psychisme comme autant de rĂ©fĂ©rences aux maĂźtres que sont Cronenberg et Carpenter. Plus relĂąchĂ©, plus animal, recherchant moins la perfection de la mise en scĂšne dâun It Follows que de brasser la fĂ©roce force des images, Grave est une premiĂšre Ćuvre trĂšs encourageante qui permet dâenvisager un renouveau du cinĂ©ma français Ă qui il manque cruellement de visions aussi singuliĂšres.