Ces derniers mois, la Ligue de Football Professionnel (LFP) avait de bonnes raisons de fanfaronner. La stratégie hyper agressive d’Altice et le recrutement galactique du Paris Saint Germain laissaient augurer un bond sans précédent des droits TV. Jugez plutôt ; mois après mois, les bonnes nouvelles succédaient aux bonnes nouvelles : 26 novembre 2015 – Altice annonce avoir acheté les droits français de la Premier League (2016/2019) pour plus de 100 millions d’euros par an ; 11 mai 2017 – Altice annonce avoir acheté les droits de la Ligue des Champions et de la Ligue Europa (2018/2021) pour 350 millions d’euros par an ; 31 aout 2017, le Paris Saint Germain annonce l’arrivée de Kylian MBappé quelques jours après l’officialisation de la venue de Neymar Junior. Quelle inespérée conjonction des astres ! Tandis qu’un nouvel acteur du marché de la diffusion télévisée du spectacle sportif s’engage dans une surenchère sans limite, la meilleure paire d’attaquants est constituée dans un club de Ligue 1…
La LFP, émoustillée par un contexte si favorable, réfléchissait sérieusement à une possible anticipation du lancement de son appel d’offres pour les droits TV de la Ligue 1 (2021-2024). L’affaire semblait réglée : la ligue toucherait, sans l’ombre d’un doute, pas moins d’1,2 milliard par an à l’occasion de cet appel d’offres. Faut-il rappeler que, dans l’actuel contrat, la LFP perçoit 726,5 millions par an de droits domestiques (540 millions versés par Canal + et 186,5 millions versés par BeInSports), c’est à dire moins que les droits domestiques pour la Liga espagnole (estimés à 883 millions d’euros par an), moins que ceux de la Serie A italienne (945 millions d’euros par an), moins que ceux de la Bundesliga (1,16 milliards d’euros par an) et bien sûr moins que ceux de la Premier League (environ 2,3 milliards d’euros par an). L’exemple allemand avait de quoi conforter les dirigeants de la LFP dans leur analyse : parent pauvre des droits domestiques du Big 5 jusqu’à la saison dernière (628 millions d’euros par an), la ligue allemande a, cette saison, dépassé 3 de ses 4 devanciers en doublant (ou peut s’en faut) son pécule annuel.
La LFP avait été à peine inquiète d’apprendre que l’Arabie saoudite avait fermé les bureaux de la chaîne Al Jazeera le 5 juin 2017 (à l’heure d’une grande crispation entre le Qatar et son voisin sunnite), signe de possibles difficultés futures pour BeInSports, pas plus qu’elle n’avait vu dans l’échec de l’appel d’offre de la ligue italienne, une semaine plus tard, un mauvais présage. Avec l’arrivée d’Altice dans le panier de crabes, les droits allaient certainement flamber, comme le prédisaient tous les analystes (voir à ce sujet les notes d’analyse très documentées n°8 et n°10 de l’Observatoire de l’Économie du Sport). C’était sans compter sur l’essoufflement plus général des opérations d’Altice…
La stratégie de Patrick Drahi, patron d’Altice et propriétaire de SFR, est de s’endetter lourdement pour faire l’acquisition de concurrents ou d’entreprises aux activités complémentaires. Le principe de cette stratégie de levier est de grossir rapidement et de rembourser plus tard ses dettes grâce aux bénéfices engendrés par les activités futures des multiples entreprises du groupe. La dette du groupe Altice atteint désormais le montant faramineux de 50 milliards d’euros et, si, jusqu’en juin dernier, il se trouvait des investisseurs pour apporter facilement des liquidités au tycoon des télécoms et des medias, la confiance des investisseurs semble s’être érodée. Depuis juin, l’action Altice a perdu 58 % de sa valeur et l’on redécouvre que la perte de 2 millions de clients par l’opérateur SFR (depuis le rachat par Patrick Drahi) n’est pas le signe d’une santé éclatante. Dans un contexte de grande nervosité, les dirigeants d’Altice ont annoncé mercredi 15 novembre 2017 qu’ils mettaient un frein aux acquisitions et aux achats de contenus : « priorité à la réduction de la dette » ont-ils annoncé.
Pour la LFP, la nouvelle n’est pas excellente. « L’enchérisseur fou » va sans doute sortir (momentanément ?) du jeu. Ceci replace le groupe Canal + dans la course : non que le groupe ne gagne réellement de l’argent avec la diffusion du football, mais il en perd moins que BeInSports et pourra négocier avec la ligue en position favorable. Bien sûr, l’arrivée d’un nouvel acteur (Discovery ? Un acteur du web ?) est toujours possible. Mais la décision d’Altice devrait sérieusement limiter l’inflation des droits TV français, si bien qu’atteindre le milliard d’euros annuel ne semble plus garanti… Est-ce une coïncidence, le groupe Canal + vient d’annoncer que le match Paris Saint Germain-Troyes comptant pour la 15ème journée de Ligue 1 serait diffusé « en clair » sur C8 (une chaîne du groupe) le 29 novembre 2017 dans le cadre d’une opération « C8 fête Noël avant l’heure ». Pour Canal +, la période des fêtes a débuté le 15 novembre.