Fiction - Le syndrome de Sevran

Chapitre 19
Rien n’a changé

Dimanche 23 août 2015

Le début de saison n’est pas de tout repos pour l’AS Sevran, outre les multiples controverses sur la dérive tout-business du club, les résultats sur le terrain peinent à suivre.

En effet, après la défaite originale, on a cru les problèmes sevranais résolus lors de la 2e journée de championnat contre Lens où les hommes de Luis Diaz ont vite pris l’avantage grâce à un coup franc idéalement tiré par Konstantínos, qui faisait son retour, mais l’équipe encore en délicatesses physiquement s’est liquéfiée dans le final et a été rejointe à vingt minutes du coup de sifflet final par les nordistes.

Ensuite, le coach Diaz a suscité l’étonnement lorsqu’il a aligné une équipe largement remaniée à Auxerre en Coupe de la Ligue, alors que son effectif manque justement d’automatismes. Au milieu de seconds couteaux, Khalid et Daniel ont été les seuls à briller, mais cela n’aura pas suffi, les sevranais sont éliminés du trophée bidon à la gloire de Bertrand Poulain sur le score de 1-0.

La 3e journée a débuté idéalement, avec le premier but de la saison de Gabriel dès la 7e minute du match contre Tours. Mais en panne d’efficacité, les sevranais vont paniquer dans le final, et dans les arrêts de jeu, sur le coup franc de la dernière chance pour les tourangeaux, Mohamed est contraint de stopper le ballon la main sur sa ligne pour empêcher le but. Résultat des courses, carton rouge et pénalty, qui sera transformé, menant à un deuxième nul consécutif.

Lors du match suivant, Gabriel a de nouveau trouvé la faille tôt dans le match, après une superbe percée à la 16e minute. Mais en 2e mi-temps, l’absence de Mohamed s’est cruellement faite sentir en défense et les sevranais ont été cueillis à deux reprises par les lavallois en deux occasions majeures, menant à une défaite sur le score de 2-1 et laissant l’AS Sevran en 16e place avec deux petits points.

Inutile de dire qu’après ce début de saison décevant, beaucoup de regards se tournent vers l’équipe de jeunes, à la recherche du facteur X qui pourrait remettre l’AS Sevran sur de bons rails, la motivation est donc particulièrement forte parmi les recalés pour la réception de Valenciennes, qui, ironie du sort, précède de 5 jours le match de l’équipe A contre la même équipe.

Pour les jeunes, tous les voyants sont au vert, outre le fait que tout le monde est aussi remonté qu’un syndicaliste face à une réforme du droit du travail, Khalid, en manque de temps de jeu, a été autorisé à les rejoindre, Esteban s’est rapproché à plusieurs reprises de son chrono de référence sur 100 mètres lors des derniers entrainements, Bruno a réussi à rameuter tous ses potes portugais au bord du terrain, en espérant les convaincre de faire du lobbying en sa faveur dans les tribunes lors des prochains matchs des A et la danse de la pluie faite par Valentino cette nuit a fonctionné.

C’est d’ailleurs Valentino qui semble le plus motivé pour ce match, se mettant en évidence dès la 2e minute en balançant un long ballon, 60 mètres plus loin vers son nouveau jouet, Esteban, qui a accéléré aussi vite qu’une moto pour saisir la balle, se retrouvant ainsi parfaitement seul face au gardien qu’il s’offre le luxe de dribbler avant de pousser le ballon dans le but vide.

Les valenciennois sont secoués par ce but et se rendent immédiatement coupables d’une passe en retrait mal assurés sur le coup d’envoi, malheureusement pour eux, Esteban était tapi dans l’ombre. L’attaquant espagnol saisit le ballon et a tout son temps pour placer Khalid en parfaite situation pour doubler la mise alors qu’on n’a pas encore joué trois minutes dans ce match.

La situation est idéale pour les sevranais qui peuvent désormais tranquillement jouer le contre, contres sublimés par l’excellent match de Valentino qui multiplie les ballons longs extrêmement dangereux, permettant tout d’abord à Esteban de planter le doublé à la 20e minute de jeu, puis lançant parfaitement Bruno sur l’aile droite, qui enchaine ensuite sur un centre vers Esteban qui se retrouve déjà avec un triplé au compteur à la 26e minute du match.

Après un missile de Bruno des 25 mètres à la 40e minute, le score est de 5-0 à la mi-temps. Le coach laisse alors Esteban, qui n’est pas le joueur le plus endurant du groupe et Khalid, qui doit être gardé au frais si l’équipe A a besoin de lui, se reposer. Vu l’écart, Valentino et Bruno n’auront aucun mal à guider leurs équipiers vers un succès tranquille.

La deuxième mi-temps sera plus calme entre des valenciennois abattus et des sevranais qui cherchent juste à gérer le score, le seul éclair de génie étant une belle percée de Valentino à la 73e minute de jeu qui finira déséquilibré dans la surface. Pour s’amuser, les sevranais laisseront leur gardien tirer et marquer le sixième et ultime but de la journée.

Ce triomphe sur le score de 6 buts à 0 donne l’impression qu’au fond, malgré toutes ces annonces choc, rien n’a changé depuis un an, les jeunes pousses du club inspirent toujours la terreur alors que l’équipe A a beaucoup trop mal à se trouver.

Puisque préserver les vieilles habitudes semble être le dernier chic chez les joueurs, c’est fort logiquement qu’on retrouve la jeune garde dans la salle vidéo le soir même, pour une bonne partie de FIFA-piment.

Ils sont vite rejoints par plusieurs joueurs de l’équipe A, qui ont juste envie de se changer un peu les idées, entre les pleurnicheries autour des grandes manœuvres initiées par la direction du club, l’agacement suscité par le manque de réussite devant le but et le scénario cruel des derniers matchs, les nerfs sont franchement à vif.

Bruno croit alors bon de défiler Pierre, avec sa gueule d’ange et sa manie de passer des heures au téléphone avec sa copine, il ne doit pas être du genre à passer des heures sur console. Dix minutes plus tard, alors que Bruno avale son quatrième piment consécutif et que l’on s’apprête à passer à la deuxième mi-temps, les joueurs entendent frapper à la porte.

C’est Caroline, qui a retrouvé ses lunettes et qui habillée comme une femme d’affaires, accompagnée d’une fort élégante femme métisse d’une trentaine d’années dans une tenue similaire.

Au début, les joueurs ont été plutôt craintifs, avec des dégaines comme ça, ils avaient un peu peur que les deux femmes soient venues pour distribuer des lettres de licenciement, mais ils étaient bien loin de la vérité. En effet, la nouvelle venue, Laura, une conseillère en communication germano-ghanéenne est la nouvelle directrice commerciale du club, qui ressemble de plus en plus à une réunion des Nations Unies.

Laura a recruté Caroline comme assistante, il était important pour elle d’avoir quelqu’un qui connaisse un minimum le comportement du principal produit marketing du club, c’est à dire Gabriel. Un buteur qui a un bon look, qui est jeune, qui est du coin et qui est très talentueux, c’est un peu le rêve du communiquant.

Comme souvent, Bruno n’a pas trop compris ce qu’il s’est passé. Pour résumer très grossièrement, Khalid lui dit que Gabriel est désormais la mascotte de l’AS Sevran mais sans le costume à la con et que la bonnasse qui vient d’arriver, c’est celle qui déciderait de sa marque de caleçons à chaque match. Bruno demande alors de manière tout à fait sérieuse comment il va faire comme il porte des caleçons intégrés au short quand il joue, à la plus grande consternation de ses équipiers.

Gabriel, lui, n’a pas perdu de temps, il sort ses plus belles notions d’allemand, qui lui ont valu un 7 au bac alors qu’il avait pourtant triché, pour essayer de nouer le contact avec Laura, de manière tout à fait professionnelle bien entendu, ce qui est la raison pour laquelle Gabriel s’attarde aussi longuement sur les deux atouts supplémentaires de Laura.

Caroline, quant à elle, discute un peu du plan de communication préparé par Laura avec Louis et Valentino, l’idée est de donner une image décalée au club. Si on vise une communication classique, il y a des milliers de clubs qui ont une légitimité historique plus forte, si on vise une communication sur l’esprit banlieue, on touche une cible restreinte et pas très blindée, alors donner une image de cirque au club, ça aurait le mérite de l’originalité et de l’universalité, d’où par exemple l’idée de la chaine youtube.

Valentino n’est pas un fervent soutien de l’idée, comment se faire respecter par les adversaires si le club apparait sur la jaquette du prochain CD-Rom “Deviens un vrai Kévin” ? Louis lui suggère alors de tacler encore plus brutalement ses adversaires pour que la leçon rentre bien, dans la vie il y a les paroles et les actes.

Quoi qu’il en soit, le respect ne se gagne pas par la communication, mais par les performances sur le terrain et à ce titre, le match contre Valenciennes est particulièrement attendu pour relancer la saison de l’AS Sevran.

Le climat n’a rien à voir avec celui du match d’il y a cinq jours brillamment remporté par les jeunes, la pluie a laissé la place à un soleil éclatant et à de fortes chaleurs. En tribunes, Bruno ne cache pas son inquiétude quant au climat, les fortes chaleurs pourraient peser sur les organismes en fin de match et on a vu que jusque là, la dimension physique apportée par l’équipe n’étant pas optimale.

Sur le terrain, le classique 3-6-1 du coach Diaz est reconduit malgré ses échecs à répétition depuis le début de la saison, et ce coup-ci il n’y a pas d’absent, le trio défensif Alexey/Abdel/Mohamed est reconstitué suite au retour de suspension de ce dernier, le milieu à six Marc/Pierre/Mamadou/Louis/Mateo/Konstantínos ne souffre d’aucune absence et Gabriel est toujours prêt à faire parler la poudre en attaque.

Le match commence par une longue phase de possession, la plupart des équipes de Ligue 2 étant désormais habituées au style Diaz, les valenciennois n’opposent pas grande résistance à cette prise de possession et jouent très bas pour fermer les brèches, contraignant bien vite les sevranais à se contenter de tentatives de loin entre deux séquences de passe à dix.

Le premier quart d’heure passé, les visiteurs s’enhardissent et osent un contre après une perte de balle de Mateo, le retour d’Alexey est tardif et il est obligé de céder le coup franc en plus de recevoir un carton jaune. Le ballon est bien placé dans la boite et la reprise de la tête ne laisse aucune chance à Alejandro qui a décidément peu de chances de briller en ce début de saison.

Les malheurs ayant la fâcheuse tendance de venir en groupe, l’AS Sevran n’est pas au bout de ses peines, trois minutes plus tard, suite à un contact musclé avec un défenseur, Gabriel se plaint d’une douleur au pied. Le staff médical se précipite vers la star de l’effectif, mais les nouvelles ne sont pas bonnes, ils font bien vite le geste indiquant que le match est terminé pour Gabriel.

En tribunes, c’est bien sûr la consternation, MC 20 centimes n’a plus le coeur à chanter après un tel coup dur, Valentino et Bruno espèrent bien sur que cela ne sera pas trop grave, comme il y a des expéditions sur rollers qui trainent. Mais c’est Laura la plus paniquée, qui utiliser comme tête de gondole par intérim ?

Alors que Gabriel est conduit à l’hôpital pour de plus amples examens et que tout le stade retient son souffle pour que sa doublure Hugo Campos ne se fasse pas trop dessus, le match s’enfonce dans une sorte de torpeur, les sevranais étant secoués par ce double coup du sort et les valenciennois restant prudents vu l’étroitesse de l’écart au score.

La mi-temps est par conséquent atteinte sans accroche, dans les vestiaires, Alejandro, en bon capitaine, se lance dans un discours pour remotiver ses troupes, les incitant à rentrer dans la gueule de cette bande de consanguins pour venger leur camarade tombé au combat.

Et le début de deuxième mi-temps est prometteur, les sevranais dominent toujours autant la possession, mais les percées de Louis réussissent enfin à être efficaces, offrant à Hugo puis à Konstantínos, deux belles opportunités qui seront repoussées par le portier adverse.

A la 58e minute, le guépard de Sevran s’offre une nouvelle percée ravageuse, son centre est parfaitement ajusté et Hugo plonge au bon moment, la troisième fois aura été la bonne, l’AS Sevran égalise de façon fort méritée au vu du déroulement de ce début de deuxième mi-temps.

Sur le coup d’envoi, la concentration des sevranais, tout à leur joie n’est pas parfaite, Abdel s’est mal placé, laissant un trou béant sur le flanc droit de l’arrière-garde des locaux, les visiteurs ne se privent pas pour se lancer dans ce couloir, quelques secondes plus tard la sanction est là, l’ailier fixe le gardien puis remet délicatement le ballon en retrait, l’accalmie n’aura duré que quelques instants pour l’AS Sevran.

Konstantínos refuse de se résigner et animé par sa rage intérieure tente de mener la révolte, hélas les rangs adverses sont bien soudés et Louis, jusque là le plus dangereux, commence à fatiguer à devoir courir dans tous les sens. Pire encore, Hugo rate deux occasions nettes arrachés durement par le prodige grec durant les dix minutes suivantes et Pierre, décidément pas à la fête pour ses premiers matchs dans son club de refuge, demande à être remplacé, complètement carbonisé par la chaleur.

La frustration de Konstantínos atteint de tels niveaux qu’à un quart d’heure de la fin, des mots particulièrement fleuris d’un milieu de terrain adverse le font sortir de ses gonds, provoquant ainsi une bagarre générale qui réveille enfin Bruno, qui commençait à somnoler en tribunes et qui encourage bruyamment ses camarades de club à aller broyer du nordiste. Le bilan des courses est clair pour les arbitres, deux jaunes et un rouge de chaque côté, Konstantínos ne pourra donc pas terminer le match avec ses coéquipiers.

Privée de sa star, de son révolté et avec un Louis carbonisé, l’équipe locale semble au fond du gouffre et les valenciennois reprennent à leur compte l’adage selon lequel il est toujours bon d’enfoncer un adversaire jusqu’au bout, en profitant d’une sortie hasardeuse d’Alejandro pour reprendre victorieusement le coup franc consécutif à ce coup de chaud.

Dans le terrible silence du stade on distingue tout de même un bruit de choc, mais impossible de savoir si ce bruit est celui de Konstantínos se défoulant sur la porte du vestiaire sevranais ou celui de Valentino assénant un coup de pied au siège devant lui pour évacuer toute la frustration ressentie devant ce match.

Valentino et Bruno décident alors de quitter le stade, tels deux faux supporters, plus soucieux de vite prendre des nouvelles de Gabriel que d’assister à la fin du calvaire pour leur club. Force est de constater qu’ils ont plutôt bien fait, la défense a encore cédé à deux reprises en fin de match pour un score sans appel de 5 buts à 1, enfonçant l’AS Sevran à l’avant-dernière place du championnat avec deux points en cinq matchs.

Se faisant passer pour le petit frère de Gabriel, Bruno parvient à pénétrer dans l’hôpital et à discuter avec son ami. Celui-ci souffre d’une fracture à un orteil, la bonne nouvelle c’est qu’il aura un peu de temps pour avancer sur son plan drague avec Sonja, la ravissante kiné norvégienne du club, la mauvaise c’est qu’il ne pourra pas jouer pendant deux mois au minimum.

Quand Bruno sort de l’hôpital, il est attendu par Valentino, Caroline et Laura, à l’annonce du diagnostic, Laura commence à dérailler, comment vendre un club qui a eu son image salie tout l’été, qui incarne l’esprit de la défaite depuis un mois et qui en plus n’a plus son principal produit commercial ? L’apprentissage de Caroline sera plus dur que prévu, un peu comme celui de tout le monde au club, d’un certain point de vue.
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