Fiction - Le syndrome de Sevran

Chapitre 3
La seule décision logique

Vendredi 17 octobre 2014

Cela fait près d’un mois que la mairie et le club se livrent une intense bataille médiatique suite aux révélations sur l’affaire de corruption dans laquelle serait impliqué le président Marquet.

Dans un premier temps, l’immense montée en popularité de Marc Verdier parmi les fans du club, ainsi qu’une victoire 1-0 à Arles faisant sortir le club de la zone de relégation, ont un peu fait oublier le scandale en freinant la montée de la grogne contre le président du club. Certains conseillers municipaux opportunistes avaient d’ailleurs commencé à se distancer de la posture radicale du maire, découvrant soudainement les vertus de la présomption d’innocence.

Mais c’était sans compter sur la persévérance de la presse, trop heureuse de pouvoir traquer sans retenue un patron assez stupide pour ne pas avoir placé une seule bille chez eux, qui livre alors des éléments de plus en plus accablants pour le président Marquet. Il est cependant vrai qu’il serait difficile de passer sous silence le fait que ce brave monsieur Marquet est le parrain du fils du maire malhonnête.

Devant des éléments aussi solides, une bonne partie des fans ne cache plus son hostilité envers un dirigeant qui met son club en danger, et c’est sous des sifflets nourris que se déroule la première mi-temps du match contre Sochaux, comme si les températures inhabituellement hautes pour la saison ne suffisaient pas à offrir une chaude ambiance.

Sifflets qui ont très vite redoublé, en effet, dès la première minute du match, les locaux concèdent un penalty pour une main trop baladeuse de José Sidibé, le défenseur central. Daniel Iwanicki ne pourra rien faire sur la frappe à ras du poteau qui suit, et la situation est déjà fort mal engagée.

Les sevranais se montrent volontaires et dominent globalement le jeu, mais Etienne Baron se montre particulièrement maladroit au moment de conclure, et le score est toujours en faveur de la formation du Doubs à la mi-temps. Le capitaine demande alors à quitter le terrain, ressentant une gêne à la cuise, et est remplacé par Stéphane Germain.

A l’heure de jeu, la réussite semble enfin sourire à l’équipe locale, sur un coup franc bien placé, Marc Verdier déposé le ballon sur la tête de Stéphane Germain qui égalise. Toutefois, la joie dans les tribunes reste très contenue, contexte oblige.

Et le public s’aperçoit bien vite qu’il a probablement bien fait de ne pas trop se réjouir, quand Sochaux repart à l’assaut, la défense semble avoir toutes les peines du monde à s’aligner, même Marc Verdier semble peiner à suivre ses adversaires, le coach, malgré son âge avancé, constate comme tout le monde en tribunes que l’équipe semble complètement carbonisée suite à sa débauche d’énergie de la première mi-temps et fait rentrer deux joueurs défensifs frais en espérant tenir le nul.

Malheureusement, les joueurs appelés en renfort rappellent vite au public leur vrai niveau, celui d’amateurs pour qui la montée était déjà un miracle, et nullement renforcée, la défense se retrouve surtout déstabilisée, laissant de grands espaces aux attaquants sochaliens malgré la prolifération de joueurs défensifs sur le terrain.

A la 72e minute, le sommet du ridicule est atteint lorsque deux défenseurs se percutent, laissant Gregory Gaubert, le buteur sochalien, aller remporter tranquillement son duel avec Daniel Iwanicki. A ce moment, à la débandade physique, s’ajoute un décrochage mental inquiétant, on ne sent aucun esprit de rébellion, au contraire, les mouvements de l’équipe se font de plus en plus mous.

Il n’est alors pas surprenant de voir la défense a nouveau débordée à la 76e minute sur un corner et encore à la 84e minute foudroyée par un une-deux parfaitement exécuté. La bronca du public se fait de plus en plus intense au fur et à mesure que la fin du match approche.

Lorsque l’arbitre siffle la fin des débats, la situation semble plus catastrophique que jamais, cette lourde défaite 4-1 renvoie le club dans la zone de relégation et la rupture entre le président et le public semble plus que consommée.

Dès le lendemain, le président prend la seule décision logique en décidant de demander à son vice-président, Boubacar Traoré, de préparer la vente du club dans les meilleurs délais, ne pouvant s’en charger lui même pour cause de calendrier judiciaire probablement très chargé pour lui.

Pour Boubacar, c’est une mission très difficile, il faut dire que le club n’a pas grand chose pour lui, l’effectif joue environ un niveau trop haut, la base de supporters reste très limitée, les infrastructures d’entrainement auraient besoin d’une bonne rénovation, le stade Alfred Nobel n’est pas franchement attrayant, et soyons honnêtes, Sevran n’est pas la ville qui a la meilleure réputation de France. Les deux seules forces du dossier semblent être la proximité de Paris et le fait que le prix soit bradé pour cause d’urgence, avantages qui paraissent tout de même assez légers.

Boubacar se lance alors à la traque du moindre argument alternatif pour que son dossier ne se réduise pas à un post-it et mène une inspection de toutes les structures du club, c’est cette inspection qui le mène le lendemain sur le terrain d’entrainement pour assister à la réception des jeunes lensois par l’équipe des moins de 19 ans.

A en croire le père de Valentino, qui ne manque jamais une occasion de suivre les exploits de son fils, jusque là les jeunes sevranais ont laissé une impression favorable, ne concédant la défaite que contre le PSG la semaine où une mystérieuse épidémie avait troublé l’équipe. Boubacar veut voir de ses propres yeux s’il y a quelque chose à tirer de ce groupe et s’installe pour assister au spectacle.

Cela commence fort, dès la première minute, Khalid se lance dans une superbe chevauchée, prenant trois joueurs lensois de court, et trouve Bruno parfaitement isolé sur le côté droit, le jeune portugais a alors tout son temps pour ajuster son centre en direction de Gabriel qui expédie le ballon en pleine lucarne.

Dans les minutes qui suivent, les impressions semblent se renforcer, alors que les lensois peinent à passer le milieu de terrain, les sevranais se lancent fréquemment à l’assaut des cages adverses, Louis passe d’ailleurs tout près de doubler la mise à la 14e minute après avoir enrhumé toute la défense adverse sur un sprint magnifique dont il a le secret.

A la 19e minute, c’est au tour de Valentino de se distinguer, sa frappe puissante des 40 mètres aurait peut-être mérité un meilleur sort que la transversale lensoise. Mais son équipe tirera bénéfice de coup de boutoir, les lensois s’éloignent un peu plus de leur but de peur d’essuyer un nouvel assaut de loin, offrant de beaux espaces à l’attaque sevranaise. Espaces dont Valentino profite d’ailleurs à la 32e minute lorsqu’il sert Gabriel parfaitement démarqué, celui-ci dribble alors le gardien avec son aisance habituelle et va inscrire le deuxième but du match dans une cage vide.

Gabriel, décidément en pleine forme, s’offre même le coup du chapeau parfait à la 41e minute lorsqu’il résiste aux assauts de deux défenseurs lensois et va conclure seul du pied gauche dans un angle pourtant difficile, le score est alors de 3-0 et on se demande ce qui pourrait déstabiliser les jeunes sevranais.

En début de deuxième mi-temps, les lensois tentent une tactique plus offensive pour tenter de faire douter les sevranais, malheureusement, l’attaquant remplaçant trouve rapidement Valentino et ses crampons de 18 millimètres sur son sillage, découvrant de façon fort douloureuse le jeu à la sevranaise.

Après un quart d’heure relativement tranquille, les sevranais se décident à porter l’estocade à des joueurs lensois qui semblent totalement vidés par cette rencontre. Soucieux d’en laisser un peu aux autres, Gabriel qui a une nouvelle fois fait tourner la tête de la défense adverse remet en retrait à Khalid qui inscrit le but du 4-0 à la 63e minute.

La dernière demi-heure prend des airs de supplice, les buts lensois semblent mitraillés toutes les minutes, que ce soit de près ou de loin, si le recul de la défense prive Louis de son principal moyen d’expression, ce qui pousse le coach à le remplacer. Il fait le bonheur des artificiers à longue distance, et Bruno aggrave la marque à la 78e minute d’un tir à près de 30 mètres.

Chose rare, même Dimitri a le droit de se joindre à la fête, il coupe la trajectoire d’un corner parfaitement dosé par Bruno pour achever les lensois à la 90e minute. Le score final est de 6-0, à la plus grande joie de la dizaine de spectateurs qui peuvent enfin se changer un peu d’idées après les multiples désillusions de l’équipe première.

Boubacar, quant à lui, n’a pas manqué une miette de ce spectacle aussi cruel que magnifique, et a déjà en tête son principal argument de vente, la qualité des équipes de jeunes, à défaut d’investisseur ça devrait au moins intéresser l’association des cougars enragées.

Il est toutefois heureux que Boubacar n’ait pas assisté à la célébration de victoire de cette brillante jeunesse, qui se sont livrés à une escapade en rollers à travers la ville dans le but de saccager toutes les affiches du Parti Pour la Liberté, formation d’extrême droite, largement honnie par la jeunesse locale. Il y eut d’ailleurs un vif débat entre les jeunes hommes pour décider qui de Bruno ou Louis dessinait les plus belles moustaches d’Hitler. Débat qui s’est terminé en bagarre (quelle bonne surprise).

Boubacar s’entoure alors de tout ce que la cité des cerisiers fleuris compte de jeunes doués en informatique pour réaliser un dossier mettant en avant la jeunesse locale, à cette occasion il souhaite interviewer certains jeunes talents qu’il a aperçus la veille sur le terrain.

Malheureusement pour lui, Bruno fuit dès qu’il voit Caroline dans le bureau de Boubacar, Gabriel passe le plus clair de son temps à draguer une jeune métisse plutôt qu’à répondre à ses questions, Louis n’est pas vraiment présentable après la baston de veille, Dimitri croit amusant d’insérer un coussin péteur sur le siège de Boubacar et Valentino croit bon de lui asséner un coup de boule pour le sanctionner de cette blague pourrie. Il faudra se contenter de l’imperturbable Khalid.

Boubacar s’active ensuite à faire passer la nouvelle dans tous ses contacts d’affaires, il comprend hélas bien vite qu’en France, le nom Sevran fait un peu peur. Craignant un nouveau scandale judciaire s’il venait à abuser de la naïveté d’une personne âgée en jouant sur la confusion entre la ville de Sevran et Pascal Sevran, il comprend vite que le salut viendra de l’étranger.

Sa première piste est Mohammad Bitar, un magnat des médias libanais. Le contact entre les deux hommes passe plutôt bien, mais hélas les négociations tournent court lorsque monsieur Bitar divulgue son intention de faire de Al-Manar, la chaîne de télévision du Hezbollah, le sponsor principal du club. Si Boubacar convient que les jeunes de la cité n’auront pas grand mal à accepter pareil sponsor, il sera un peu plus dur de faire avaler une telle nouvelle à la Ligue.

Boubacar noue ensuite des contacts avec un multimillionnaire texan, Ryan Devlin, les premiers contacts semblent prometteurs, même si Boubacar semble déboussolé par quelques questions comme celles portant sur le niveau de son quarterback. Mais hélas, le prétendant se retirera vite des négociations après avoir vu sur Fox News que Sevran était une “no-go zone”.

Un fonds d’investissement de Bahreïn se manifeste alors, dans la volonté affichée de marcher sur les plate-bandes du Qatar et du PSG, particulièrement généreux, le fonds se propose même de racheter plusieurs terrains autour du stade pour offrir une vraie mosquée à la ville et créer un centre commercial à proximité du stade. Cependant, Boubacar rompt de lui-même les négociations lorsque les bahreïnis évoquent la possibilité d’interdire l’alcool dans les zones rachetées, on ne touche pas à sa bibine.

La candidature de David Cohen, riche banquier de Tel-Aviv connaitra le même sort, Boubacar ayant peur de déclencher des émeutes encore plus violentes que celles de 2005, de même que celle d’une riche suédoise qui voulait changer les maillots du club en rose au prétexte que “notre club, ce n’est pas tarlouze-land” ou encore que celle du propriétaire allemand du magazine “Frappe-moi avec une fourche”, sponsor pas véritablement adapté au football convenons-en.

Alors que Boubacar remue ciel et terre pour trouver un nouveau propriétaire au club, contactant même le président de la Corée du Nord au passage, c’est dans la ville de Sapporo, au Japon que pourrait bien se jouer l’avenir du club.

Ce jour là, Shigeru Miyazaki, le richissime propriétaire de l’entreprise Akabura, mondialement reconnue pour ses composants informatiques de grande qualité, et principal employeur de l’ile d’Hokkaidō, découvre un rapport établi par Yuji Nozaki, un de ses principaux conseillers.

Cela ne fait pas de grand mystère dans la région que monsieur Miyazaki a une certaine envie de s’expatrier, à la fois lassé par les catastrophes naturelles et par le tournant nauséabond que prend la politique japonaise actuelle. Mais sa démarche s’inscrit aussi dans la volonté de découvrir d’autres cultures et de faire en sorte que sa fille en fasse de même, il a un peu peur qu’elle ait été surprotégée dans les écoles privées haut de gamme dans lesquelles elle a passé toute son enfance.

Il a fait le choix d’acquérir un club de football à l’étranger pour prendre racine ailleurs, il est lui-même un fervent amateur de ballon rond et n’a pas manqué d’inscrire sa fille au club local dès le plus jeune âge, sa seule forme de socialisation hors des écoles privées. Le rapport rédigé par son conseiller vise à le renseigner sur plusieurs pistes pour s’implanter en Europe, de préférence à proximité de grandes villes.

La fiche de l’AS Sevran l’attire rapidement. Le prix est plus qu’abordable pour un club de deuxième division, la proximité de Paris n’est pas pour lui déplaire, et un projet axé sur les jeunes locaux a tendance à le séduire.

Monsieur Miyazaki discute alors longuement de cette piste avec Yuji qui ne manque pas de lui dire que c’est également son projet préféré et qu’au fond, Sevran c’est presque comme Paris…
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