Fiction - Le syndrome de Sevran

Chapitre 8
Un match plein de subtilité

Vendredi 16 janvier 2015

Durant la semaine séparant le déplacement au Havre de la réception du rival cristolien, le recrutement de l’encadrement est enfin terminé. Tout d’abord, le club se doute d’un atout de poids avec Luis Diaz, son nouvel entraineur espagnol, technicien expérimenté et connu pour son amour du jeu de passes courtes, chose qui ne manque pas de ravir les dirigeants du club qui comptent sur la bonne publicité accordée au niveau de jeu de l’équipe pour remplir les tribunes.

Ensuite, de manière qui semble plus anecdotique, monsieur Miyazaki a enfin trouvé la perle rare pour assumer le rôle de traducteur officiel, vu l’auberge espagnole que devient le club, il lui a semblé nécessaire de trouver une personne maitrisant un très grand nombre de langues. L’homme providentiel se nomme Tomi, un jeune franco-finlandais extrêmement talentueux dans ce domaine car il maitrise onze langues, le français, l’anglais, le japonais, le finnois, l’italien, l’espagnol, l’arabe, le portugais, le suédois, le russe et l’hindi. Il est fort probable qu’il évitera beaucoup de problèmes à l’ensemble de l’encadrement du club.

Ce soir, c’est bien sur le nouvel entraineur qui sera la star, alignant une formation assez originale en 3-6-1 qui devrait offrir un énorme défi aux cristoliens au milieu de terrain et offrant les clés du jeu à Konstantínos, aligné à une inhabituelle position de milieu offensif.

Les voyants semblent au vert, la pluie qui s’était abattue dans l’après-midi a disparu, laissant un terrain légèrement humide, plutôt bénéfique au jeu prôné par le coach Diaz. C’est d’ailleurs cette humidité qui lance les hostilités, un malheureux défenseur cristolien ayant fait un mauvais choix de crampons effectue une relance plus hasardeuse dans les pieds de Konstantínos, celui-ci n’a plus qu’à fixer le gardien adverse et remettre en retrait à Etienne Baron, pour que le capitaine sevranais ouvre le score après un peu plus d’une minute de jeu.

Bénéficiant du double avantage de pouvoir enfin gérer un avantage et d’avoir un milieu de terrain aussi touffu que l’intérieur de la culotte d’une actrice porno japonaise, les locaux n’ont aucun mal à étouffer les rivaux cristoliens qui se retrouvent avec une possession de balle ridicule durant toute la première demi-heure. Certains nouveaux fans croient d’ailleurs bon d’entamer une série de “olé” dans le public.

Malgré cette nette domination, les sevranais ne s’offrent pas d’occasion tranchante, et ils en sont punis à la 33e minute, lorsque les cristoliens obtiennent un coup franc aux trente mètres, si Mohamed parvient à empêcher l’avant-centre adverse de couper la trajectoire, Nicolas Montini se distingue en laissant bêtement passer le ballon sous son ventre, offrant une égalisation surprise aux visiteurs.

Les courageux des tribunes se lancent bien vite dans la reprise d’un chant de l’année précédente se moquant copieusement du gardien remplaçant qui ne doit sa place qu’à la suspension de Daniel Iwanicki. Mais ces chants sont vite éteints par un excellent réflexe de Marc, qui après une interception remet très vite la balle au milieu droit malien Mamadou Diop, alors parfaitement démarqué, qui file vers le but et inscrit son premier but de la saison, rendant ainsi l’avantage aux locaux.

Comprenant qu’un attitude aussi négative que celle vue lors de la première demi-heure pourrait leur coûter le match, les hommes de l’avant-garde sevranaise se lancent à l’assaut du but adverse, Konstantínos, qui n’avait pas fait grand chose après l’ouverture du score, se réveille de fort belle manière avec une tentative à 25 mètres du but, qui est déviée de justesse en corner par le gardien adverse.

Sur le corner suivant, Konstantínos trouve la tête de Mohamed, qui passe malheureusement quelques centimètres au-dessus de la barre adverse, les cristoliens semblent alors totalement submergés. Mais à la 44e minute, Nicolas Montini les remet à nouveau dans le match, lorsque beaucoup trop avancé, il concède un but sur un lob de loin parfaitement ajusté.

A la mi-temps, Konstantínos est légèrement irrité par ce mauvais travail de son portier et porte un sale coup à la porte du vestiaire avant de régler ses comptes avec Nicolas en lui déversant un flot d’insultes que personne n’ose interrompre. Dans un registre plus calme, le coach Diaz est également franchement déçu de la prestation de son gardien et n’hésite pas à le remplacer par le troisième gardien de l’équipe, un joueur de DH, recruté à la hâte cet été pour garnir la réserve.

D’entrée de deuxième mi-temps, les cristoliens se décident à tester leur nouveau jouet et c’est sur une frappe de 35 mètres que se solde la première offensive des visiteurs, frappe qui finit dans les filets après une grossière faute de main du portier local. Créteil prend pour la première fois les commandes du match, alors que Nicolas peut souffler pour son poste de remplaçant et que Konstantínos explose de colère hurlant à ses coéquipiers dans son langage si délicat qu’il ne supporterait pas de se faire enculer par une bande de bouffeurs de morue.

Le très dense milieu sevranais s’applique alors à sevrer leurs opposants de ballons pour que le gardien soit le moins sollicité possible. Privés de ballon, les visiteurs s’agacent de plus en plus et commettent des petites fautes de placement, et malheureusement pour eux, laisser Marc dans une bonne position de tir à l’entrée de la surface n’est pas franchement une bonne idée. La frappe est puissante, et le portier cristolien ne peut rien faire pour empêcher le but. Le score est désormais de trois buts partout alors qu’on n’est qu’à l’heure de jeu.

Revenus à ce score de parité, les joueurs sevranais sont totalement déchaînés, le nombre de tirs effectués par les joueurs locaux ressemble de plus en plus au nombre de balles que l’on retrouve dans le corps d’un terroriste après une intervention méticuleuse du RAID. La domination durant le quart d’heure suivant ce troisième but est si totale que l’on n’a vu le ballon que deux fois dans la moitié de terrain sevranaise pendant tout ce laps de temps.

Konstantínos, qui semblait avoir un peu disparu des radars après son petit pétage de câble de la mi-temps, retrouve tout son allant et réalisé un très joli une-deux avec Mamadou Diop, chose qui le lance parfaitement du côté droit. Il se doute alors que la défense cristolienne s’attend au centre et décide astucieusement de glisser le ballon entre les jambes du portier adverse.

Les filets tremblent donc pour la septième fois de la soirée en cette 75e minute de jeu, sous les applaudissements nourris d’un public en délire. MC 20 centimes tente de profiter de l’euphorie générale pour lancer un chant de soutien. Malheureusement ses voisins de tribune estimant le chant trop long préfèrent une autre activité, le lancer de Vincent sur les grilles du stade, une discipline bien noble que l’on sous-estime trop souvent.

Sur le terrain, l’ambiance est bien plus tenue et respectueuse, comme on peut par exemple le voir au milieu de terrain quand Marc commence à chambrer gentiment un de ses homologues cristoliens en l’incitant amicalement à abandonner le football pour se reconvertir dans la fabrication d’emmental. Propos pourtant mal pris par le joueur adverse, qui peut-être un peu fatigué, lui assène un coup de coude discret.

Konstantínos, lui, a bien vu le coup de coude et veut venger l’affront. Il inflige donc tout aussi discrètement un bon coup d’épaule au milieu de terrain cristolien, qui finit par dépasser les bornes et lui fait un plaquage en plein match de football. Les arbitres qui n’avaient rien vu jusque là ne peuvent que constater que la bagarre générale. Bagarre qui ne manque pas de ravir le public puisqu’elle survient lors d’un match contre une équipe rivale.

Après avoir attendu quatre bonnes minutes, procédé à la distribution de six cartons jaunes et exclu deux joueurs de chaque côté, l’arbitre fait reprendre le match. Entre la fatigue des cristoliens et le jeu à neuf de chaque côté, les espaces offerts à l’équipe locale semblent immenses. Marc, pour une fois pas trop fatigué en fin de match grâce à la nouvelle disposition tactique, en profite pour trouver un Konstantínos parfaitement dégagé. La nouvelle arme grecque de l’AS Sevran ne manque pas de confirmer sa bonne forme en ajoutant un cinquième but après avoir remporté son duel face au gardien adverse.

La fin de match sera moins agitée, les cristoliens ne tenant pas à ce que ce match se transforme en massacre et les sevranais se satisfaisant pleinement de ce beau succès devant leur public qui confirme les belles promesses de la nouvelle ère dans laquelle entre le club.

Le public n’est pas le seul ravi, dans les vestiaires, Tomi annonce que monsieur Miyazaki est si comblé par le spectacle offert qu’il quadruple les primes de victoire pour ce soir. Voilà qui lance de très bonnes bases pour les relations entre les joueurs et la nouvelle direction du club.

Mais un danger plane pour la belle harmonie des vestiaires, le coach Diaz s’est décidé à assister personnellement au match de l’équipe des moins de 19 ans dimanche contre Reims. Il faut dire que la description qui lui en a été faite par les pontes du club est particulièrement alléchante et que l’affiche de Coupe Gambardella contre Reims, leader d’un des autres groupes du championnat des moins de 19 ans, fait figure de révélateur intéressant.

Le grand jour est enfin arrivé pour la jeune armada sevranaise, jouer un match à enjeu devant un entraineur aussi réputé que Luis Diaz est quelque chose que peu d’entre eux aurait imaginé il y a quelques mois, et en bons inconscients, ils sont tous remontés à bloc, déterminés à ne rien laisser sur leur passage.

Sur le terrain, la timide humidité du vendredi soir a laissé la place à d’abondantes chutes de neige, nouvelle diversement accueillie par les joueurs locaux, si Khalid craint que le climat ne mette pas vraiment en valeur sa technique fine, Valentino est au contraire ravi, un climat difficile favorise le jeu très physique et les demi-portions rémoises qui auraient le malheur de croiser sa route vont passer un sale quart d’heure.

A la sortie des vestiaires, Valentino donne d’ailleurs le ton en lançant un regard noir à l’ailier de poche rémois, le type de regards qui ressemble plus à une menace de mort qu’à quoi que ce soit qui puisse être lié au sport, qui plus est lorsqu’il y a pas loin de quarante centimètres de différence entre les deux protagonistes.

Comme on pouvait s’en douter, Valentino entame un match plein de subtilité comme il les aime, avec un beau tacle bien appuyé dès la quinzième seconde, laissant son adversaire au sol. L’intervention étant licite, l’arbitre laisse jouer, et Bruno s’empare du ballon. Il progresse de quelques mètres avant de voir Gabriel bien placé à l’entrée de la surface, la frappe de l’avant-centre passe tout près du but adverse.

La neige épaisse rend le match assez indigent sur un plan technique, il faut compter sur les violentes percées de Valentino pour alimenter Gabriel en ballons, mais malheureusement, l’avant-centre peine à trouver des positions de tirs assez bonnes pour tromper la vigilance de l’arrière-garde rémoise.

Mais les coups de boutoir déstabilisent progressivement la défense rémoise, et à la 24e minute, Valentino exagère nettement un contact a priori relativement anodin dans la surface, après quelques instants de flottement, l’arbitre assistant fait savoir à l’arbitre central qu’il pense qu’il conviendrait de siffler un pénalty, avis immédiatement suivi par l’homme en noir.

Les rémois ont beau exploser de colère, il n’y aura pas de retour en arrière sur cette décision, et c’est Gabriel qui se charge de tirer le pénalty. Sa frappe puissante au ras du poteau est imparable, et les sevranais prennent l’avantage. Comme aime tant le dire monsieur Miyazaki, un bien mal acquis reste un bien acquis.

Les ardeurs offensives des rémois sont particulièrement fortes après cette ouverture du score malgré le climat hostile, pour limiter l’ampleur du phénomène, Valentino a la riche idée de placer un coup vicieux sur la cheville du meneur de jeu rémois. Alors que l’atout majeur des visiteurs sort sur civière, l’arbitre ne dégaine qu’un carton jaune, ajoutant un peu plus à la fulmination de ceux-ci.

La frustration ne rend pas vraiment service aux visiteurs qui se replacent mal en défense, chose qui leur coûte cher lorsque leur grand ami Valentino, alors sur le bord de sa propre surface, balance un ballon près de 70 mètres devant, presque au hasard, qui est récupéré par Louis au prix d’un sprint foudroyant. L’ailier franco-gabonais ne se fait alors pas prier pour transformer sa première occasion du match en but.

A la mi-temps, le score est de 2-0 pour les hôtes qui dominent leur sujet, mais le bilan est contrasté dans l’optique de séduire le coach, le sprint de Louis a fait forte impression et Gabriel a brillé par sa disponibilité, en revanche Khalid est totalement invisible et Bruno réalise un match très moyen.

Au retour des vestiaires, Valentino agit d’une manière qui ne plaide pas forcément en sa faveur, en cassant une contre-attaque. Fortement agacé par l’accumulation entre cette faute d’antijeu et tout ce qu’il s’est passé en première période, l’attaquant rémois fauché lui inflige un coup de tête en se relevant. L’arbitre prend ses responsabilités et exclut alors les deux hommes.

Si le coach des jeunes voit un bilan globalement à l’action de Valentino qui a fait sortir deux des meilleurs joueurs adverses du terrain, volé un pénalty, cassé un contre et fait une belle passe décisive avant de se faire sortir. Luis Diaz a en revanche une vue bien moins positive du jeune milieu défensif. Un carton garanti par match vaut-il vraiment cette puissance, d’autant que tel n’est pas l’atout principal requis dans son système ?

En revanche, Gabriel poursuit son sans faute, à la 58e minute, il s’offre un superbe slalom dans la défense adverse, avant de remettre en retrait à Bruno qui n’a plus qu’à pousser le ballon dans le but vide. Les jeunes sevranais semblent alors s’acheminer vers un succès tranquille contre un adversaire de haut rang.

Malheureusement, Bruno n’a pas véritablement le temps de profiter de ce but, piqué au vif par une remarque hostile au Portugal proférée par un défenseur rémois, il projette violemment ce dernier au sol, initiant une bagarre générale. Plus rapide à faire cesser les hostilités que l’arbitre du match de l’équipe première, l’homme en noir exclut Bruno et avertit deux joueurs de chaque équipe.

Réduits à neuf contre dix, les sevranais ont alors grande peine à garder le contrôle du match, même Gabriel est forcé à se replier en défense dans les vingt dernières minutes, et réussit d’ailleurs un beau sauvetage sur un corner à la 74e minute pour parachever sa belle prestation.

Mais il ne pourra rien sur la superbe percée de l’attaquant rémois remplaçant cinq minutes plus tard qui fait pleinement fructifier son avantage en terme de fraîcheur avec une petite remise en retrait pour un de ses milieux qui n’est pas sans rappeler le troisième but des locaux.

Avec plus que deux buts à rattraper les rémois se jettent corps et âme en attaque, et sont récompensés à la 85e minute par un cafouillage de la défense sevranaise sur un corner pourtant assez mal tiré, lui-même consécutif à une glissade de Louis qui tentait de mettre le ballon en touche plutôt qu’en corner.

Les cinq dernières minutes sont étouffantes, et les rémois croient voir la lumière à la dernière minute du temps réglementaire, lorsque le si précieux remplaçant se retrouve dans une très belle position de tir à l’entrée de la surface, malheureusement pour les visiteurs, le ballon est expédié un peu trop haut et rebondit sur la tranversale sevranaise.

Khalid a parfaitement suivi et balance le ballon loin devant, Gabriel est le plus prompt à récupérer la balle et se lance dans une course de 60 mètres sans véritable opposant avant de crucifier le gardien adverse et peut-être la carrière de certains joueurs de l’équipe première par la même occasion.

A part pour Gabriel, cette victoire a un goût des plus étranges pour les jeunes de l’équipe, ils ont gagné un match avec un opposant de grande valeur et sont qualifiés pour la suite de la Coupe Gambardella, mais on ne peut pas dire qu’ils aient fait grand chose pour épater le staff de l’équipe première. Mais gageons que toutes ces peines se dissiperont lors de la grande soirée FIFA-piment organisée par Gabriel, personne n’oserait saboter la joie d’un ami.

Dès le lendemain, Gabriel est convoqué dans le bureau du grand patron de l’équipe première. Chez les jeunes, tout le monde comprend qu’il faudra vite trouver un nouvel avant-centre pour espérer ramener le titre national.
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