Fiction - Le syndrome de Sevran

Chapitre 9
Pas le genre de la maison

Mercredi 4 février 2015

Après un entrainement bien chargé et pour une fois studieux, Bruno n’ayant pas osé déclencher une bagarre avant la fin, pour donner plus de temps à Louis de travailler à son recyclage en tant qu’avant-centre de l’équipe des moins de 19 ans, les remplaçants de Gabriel n’apportant pas vraiment satisfaction, les jeunes espoirs de l’AS Sevran se rendent au supermarché du coin.

Le but n’est pas véritablement de faire les courses, mais de mettre la pagaille dans les rayons, en effet les jeunes n’ont pas véritablement apprécié que la direction du magasin ait osé appeler la police après qu’une jeune fille de la cité ait volé deux culottes, ils sont persuadés que si elle avait été blanche, tout cela se serait réglé en privé.

Voilà qui mérite donc sanction, un temps les jeunes ont envisagé de brûler la voiture du directeur, mais ils se sont dit qu’un tel acte ne serait pas très original, ils ont donc opté pour un bon gros chaos dans les rayons, qui aura en plus le mérite de travailler leur endurance lors de la course-poursuite avec les agents de sécurité.

Louis et Dimitri, en grands férus d’humour, se précipitent avant toute chose sur le rayon des préservatifs et glissent des boites dans tous les sacs qu’ils voient, rien de tel qu’une bonne diversion pour profiter du chaos. Khalid et Valentino, eux, préfèrent prendre un maximum d’œufs dans leur chariot, pour repousser les futurs assauts des agents de sécurité.

Plus désorganisé, Bruno démarre bien vite les hostilités au rayon poissonnerie où il fauche un poisson à l’étalage et feint la fuite, pour mieux revenir sur ses pas et balancer le produit au visage du poissonnier qui tentait de prévenir la sécurité. Bruno ne manque alors pas de le traiter de sale collabo avant de fuir pour de bon.

Voyant les agents de sécurité courir vers le rayon poissonnerie, Louis et Dimitri comprennent qu’il est temps d’arrêter les farces de gamin de sixième et passent aux choses sérieuses, en l’occurrence les blagues de gamin de cinquième, en fauchant des tubes de ketchup qu’ils vident sur les clients qui ont le malheur de croiser leur route.

Clients parmi lesquels figure Caroline dont le pantalon est recouvert de ketchup, elle se lance immédiatement à la poursuite de Dimitri, étant assez intelligente pour savoir qu’elle ne rattrapera jamais Louis, soucieuse de ne pas reproduire son erreur du lycée Robespierre, où elle était passée proche de se casser la cheville, Caroline se débarrasse de ses talons, et les envoie involontairement sur les yeux d’un vendeur, contribuant ainsi bien malgré elle à l’expédition punitive contre le supermarché.

Plus collectif, Khalid s’est mis au lancer, multipliant les attaques à l’œuf sur les agents de sécurité à la recherche de Bruno, malheureusement étant plus doué en football qu’en baseball, les lancers de Khalid ne sont pas très précis et un oeuf se retrouve ainsi sur la veste de Caroline, alors elle-même en pleine course-poursuite contre Dimitri.

Valentino n’est quant à lui pas véritablement concerné par ces questions de précision, il préfère courir en déversant de l’huile partout derrière lui, provoquant ainsi de superbes chutes d’agents de sécurité mais aussi celle de Dimitri qui commençait à fatiguer de sa course-poursuite avec Caroline. Cette dernière tient enfin sa vengeance et vide deux paquets de farine sur Dimitri encore secoué par sa chute.

La situation étant rendue encore plus confuse par le nombre anormal de sacs sonnant aux détecteurs en caisse suite à la petite blague des préservatifs, le directeur prend la décision d’appeler la police, pendant ce temps, Bruno arrive au rayon surgelés et enfonce un imprudent agent de sécurité qui avait tenté de le stopper dans un des nombreux congélateurs.

Quand la police arrive, Louis arrive à se faire la malle, il faut dire que confronter le guépard de Sevran à l’agent René Deblanchard à la course n’était pas forcément la meilleure stratégie de la part des policiers. En revanche, les autres sont cernés et se livrent à leurs derniers barouds d’honneur en finissant leurs provisions sur les agents de sécurité du magasin.

Alors que Caroline est arrêtée sans ménagement, un doute horrible envahit un des agents encerclant Bruno, il dit à ses collègues craindre avoir affaire à des footballeurs. En effet, la hiérarchie a donné des consignes d’indulgence, craignant de froisser monsieur Miyazaki, chose qui ne manquerait pas de rendre furieux le député local et par conséquent son ami le ministre de l’intérieur.

Le mot est vite transmis, et les policiers se montrent étrangement aimables au moment d’inviter les fauteurs de trouble à les suivre, préférant leur parler du match de vendredi plutôt que des les sermonner, au plus grand désespoir du directeur du magasin qui espérait un traitement similaire à celui reçu par la jeune voleuse la veille.

Arrivés dans le fourgon, les jeunes joueurs ne peuvent que constater que Caroline s’est nettement moins bien tirée de cette excursion dans le magasin qu’eux, les vêtements ravagés par les diverses réjouissances de l’après-midi et les poignets serrés par les menottes.

Valentino, ayant alors compris que le groupe a été épargné pour son rang et non par simple amabilité, ne se prive pas pour demander pourquoi sa collègue a été menottée. Les agents de police virent alors au blanc pâle et retirent les menottes de Caroline alors que Khalid ne peut s’empêcher de rire franchement à la situation, il y a six mois ce genre d’interrogation se serait probablement terminée en coup de taser.

Une fois au commissariat, tout ce beau monde se retrouve dans une grande cellule en attendant l’arrivée de l’avocat du club. En bon habitué des lieux après divers affrontements en début d’année, Bruno ne manque pas de présenter les lieux à Caroline pour dédramatiser la situation, il faut dire qu’elle est plutôt du genre à ne jamais avoir pris une heure de colle.

Une fois arrivé, l’avocat s’entretient avec les jeunes et les policiers et obtient vite leur libération, ceux-ci tenant à leur poste. Tomi, le traducteur de l’équipe qui accompagnait Kasumi pour un peu de shopping, se chargera de les reconduire jusqu’à la cité. Pendant que Dimitri raconte quelques blagues pour détendre l’atmosphère, Valentino prend Caroline et part et lui dit d’exagérer totalement le récit de son arrestation auprès de Kasumi.

Alors que le véhicule 9 places du club s’arrête devant le commissariat, nos amis ont la surprise de voir que Gabriel accompagne Tomi et Kasumi. Alors que le traducteur se charge de tout ce qui a trait à la paperasse et que Gabriel salue ses amis, Kasumi voyant Caroline dans un état lamentable lui demande immédiatement ce qu’il s’est passé.

Usant alors de toute son expérience en cours de théâtre, Caroline dramatise totalement le récit de sa journée, faisant croire qu’elle a été arrêtée de manière totalement arbitraire après que Bruno et Dimitri se soient lancés dans une innocente bataille au ketchup dans les rayons, qu’elle a été violemment plaquée sur un rayon, tâchant ainsi sa veste avec un oeuf brisé, que ce sont les policiers qui lui ont arraché ses chaussures et que ceux-ci auraient pratiqué une palpation qui ressemblait plus à des attouchements sexuels qu’à une mesure de sécurité. Khalid ne manque d’ailleurs pas de reconnaitre en ce récit des choses qui sont vraiment arrivées à sa sœur par le passé.

Pour le moins irritée du traitement qu’aurait subi son amie, Kasumi se dirige vers l’accueil et fait un véritable scandale, que Tomi essaie de traduire de la manière la plus diplomatique possible chose qui le force à passer sous silence le passage où Kasumi compare les méthodes de la police locale à celles du gouvernement chinois.

Pendant ce temps Valentino jubile intérieurement, si les policiers avaient peur de Miyazaki à la base, ils n’oseront plus rien faire du côté du club si celui-ci est passablement irrité contre eux, et on sait qu’il ne refuse jamais rien à sa fille. Avoir droit à la même impunité que bon nombre politiciens rien qu’en étant dans cette équipe, voila qui offrira plus de sérénité aux opérations coup de poing du groupe.

Il n’est pas le seul à s’enthousiasmer en ce moment, Gabriel annonce qu’il a enfin été retenu pour un match avec l’équipe première. Clin d’oeil du destin, c’est à Orléans, dont l’équipe de jeunes avait été pulvérisée sous les yeux de monsieur Miyazaki, que la carrière professionnelle de Gabriel débutera peut-être.

Avec tant de motifs de réjouissance, tout le monde se rend au kebab “Chez Abdullah” pour le repas de la soirée, les jeunes retrouvent Louis, qui avait été alerté de leur libération par son très influent père et rencontrent pour la première fois Konstantínos qui voulait discuter un peu avec Gabriel pour préparer le match, et accessoirement éviter la soirée belote organisée par Marc et Etienne qu’il trouve un brin ennuyeuse.

A table, l’ambiance est conviviale, Gabriel et Khalid se réjouissent des efforts d’adaptation de Kasumi, insulter les policiers en public moins de deux mois après être partie de prestigieuses écoles privées, ce n’est en effet pas donné à tout le monde. Pendant que Valentino et Caroline se félicitent de leur petit tour, si on connaissait le goût de Valentino pour tout ce qui se rapporte à la manipulation et au mensonge, cela a un peu plus étonné du côté de Caroline, comme si les chaines des menottes l’avaient ironiquement libérée de son relatif conformisme.

Mais si les nouvelles sont globalement bonnes, Gabriel nourrit une petite inquiétude, être intégré pleinement à l’équipe première, c’est perdre du temps pour le bac qui approche à grand pas et pour lequel il ne part pas forcément privilégié. Même s’il pense pouvoir vivre du football, ça ferait toujours plaisir aux parents. Valentino lui promet alors de faire en sorte que l’examen ne soit pas un problème pour lui.

Comprenant ce qu’il insinue, Caroline se montre quelque peu réticente, tricher comporte toujours une grande part de risque. Valentino ne manque pas de lui rappeler qu’au fond, ce n’est pas la chose la plus risquée, par exemple, si elle dissimulait des réponses sous des bas sombres, le correcteur prendrait bien plus de risques de poursuites pénales pour harcèlement sexuel s’il avait la folle idée de mener pareilles vérifications sur une mineure que elle n’en prendrait de se faire avoir.

Il ne manque d’ailleurs pas non plus d’ajouter que ce serait encore plus simple avec un soutien-gorge, si elle n’était pas obligée de porter un wonderbra rembourré à mort pour ne pas passer pour une petite fille. Caroline se demande alors si le plus humiliant est qu’un tel argument soit porté à voix haute ou d’avoir l’allure d’une clocharde comme elle ne s’est toujours pas changée depuis l’incident du supermarché.

Bruno et Konstantínos rient grassement à la blague de Valentino, pendant que Khalid réconforte un peu Caroline et que Tomi refuse de traduire la blague à Kasumi. Sur sa lancée, Tomi se met à parler en italien à Valentino, estimant qu’il serait bon pour la discrétion de son opération de tricherie de prendre l’habitude de parler d’une manière pouvant être comprise par le moins de monde possible.

Les deux hommes s’isolent, Tomi explique que l’idée lui convient, à condition qu’elle s’applique à tous les jeunes et non seulement à Gabriel, s’il n’est pas nécessairement un tricheur dans l’âme, il sait que médiatiquement un taux de réussite exceptionnellement haut couvrirait à peu près toutes les conneries faites par l’équipe de jeunes, ce qui ne serait pas du luxe pour redorer le blason de l’équipe et ainsi ôter quelques soucis à son patron.

De retour à table, Tomi et Valentino discutent un peu du plan, ce coup ci en français, le kebab “Chez Abdullah” pouvant être considéré comme un territoire ami. Tout le monde est évidemment enthousiaste, il faut dire que les cours séchés à coups de certificats médicaux bidon confectionnés par le cousin de Louis, ce n’est pas ce qu’il y a de meilleur pour le niveau scolaire. Même Caroline se joint à l’opération, même si la réussite n’est pas trop en doute pour elle, avoir une mention ce serait sympathique pour faire plaisir à maman.

Alors que les jeunes portent un verre à la réussite du plan, Konstantínos dit à Gabriel qu’il serait peut-être temps de parler du match, là aussi il y a un plan sympa à mettre en place, Marc et lui ont pensé judicieux d’aller provoquer Salim Ayash, l’ailier gauche orléanais, le bougre a un caractère à peu près aussi moisi que le sien, n’a aucune discrétion et pèse beaucoup sur le jeu adverse, ils ont de bonnes raisons de penser qu’après une dizaine de provocations, il y a de quoi récolter un rouge.

Caroline croit bon de remarquer que le moralisme n’est pas le genre de la maison. Valentino lui demande si elle estimerait immoral de compter les cartes dans un casino qui désavantage ses clients, dans la classe, personne n’a été aidé du fait de sa naissance, au contraire beaucoup ont cumulé les parents démissionnaires, le manque de moyens de l’école et la perte de confiance en soi. Prendre des raccourcis avec le morale, ce n’est peut-être que rétablir un peu d’équité.
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