Fiction - Le syndrome de Sevran

Chapitre 14
De quoi être optimiste

Mercredi 9 juin 2015

Pour les jeunes sevranais, le premier objectif de l’année a été accompli avec le titre en Coupe Gambardella, mais il demeure à faire le plus important pour leurs parents et pour la réputation du centre de formation ainsi que de l’ensemble du lycée Robespierre, c’est à dire le passage du baccalauréat.

A la veille de la première épreuve, Tomi et Valentino tiennent une ultime réunion d’information pour bien préparer l’ensemble des candidats à leurs exploits du lendemain, il y a tant de monde dans la combine que seuls les enseignants ne semblent pas au courant.

En grand tenant de la galanterie, Valentino s’attaque tout d’abord aux avantages naturels des jeunes filles en ramenant un carton entier de bas sombres destinés aux jeunes filles, l’idée étant d’utiliser directement les cuisses comme support à anti-sèche et d’utiliser les bas comme moyen de dissimulation. Moyen particulièrement efficace, vu que ce n’est pas avec leur salaire de misère que les profs peuvent se permettre de prendre un bon avocat en cas de poursuites pour harcèlement sexuel.

Un autre grand classique pour ces demoiselles est l’utilisation des deux atouts supplémentaires dont elles disposent comme support pour une antisèche encore plus imposante. Là aussi, les surveillants ne sont pas fous, ils savent qu’on est à Sevran et qu’un regard trop appuyé sur cette zone, c’est une visite du grand frère et quinze jours d’hôpital juste derrière.

Cet exposé est suivi d’un cinglant “Je ne veux pas entendre une seule remarque” de Caroline en train de jouer avec un couteau de poche. Gabriel et Khalid ne peuvent que constater qu’ils ont peut être un peu trop bien formé la jeune femme.

Tomi n’est, quant à lui, pas peu fier de présenter un paquet de bouteilles assez révolutionnaires. En effet, chaque étiquette a été transformée en antisèche parfaitement discrète, selon Louis, le seul inconvénient étant que l’écriture est approximativement aussi petite que l’engin de Dimitri. Chose qui vaut immédiatement des protestations de la part de ce dernier qui réclame une deuxième mesure.

Une forme de malaise s’installe dans la salle quand Caroline sort un double décimètre de son sac et se propose pour procéder à ladite mesure. En panique devant cette furie, Dimitri détale comme un lapin, mais heureusement pour lui, Caroline ne sera pas en mesure de le poursuivre, ayant encore trébuché du fait de ses talons. Manifestement, les garçons ont “oublié” de lui conseiller de porter des baskets un peu plus souvent.

Alors que Tomi est affreusement embarrassé par la situation, Valentino essaie de recentrer le débat en présentant le prochain gadget, des montres dont l’écran est amovible laissant la place à encore plus d’antisèches. Gabriel est particulièrement ravi du gadget, il n’aura aucun mal à avoir l’air naturel à regarder sa montre sans arrêt, comme approximativement toutes les personnes qui ont eu affaire à madame Léjeaut pendant au moins une minute de leur scolarité.

Mais le bijou de cette exposition est sans conteste la coque de smartphone lui donnant l’apparence d’une calculatrice, idéal pour tout ce qui ne peut pas être couvert par les antisèches si on sait se faire un minimum discret. Louis conseille rapidement que ce gadget soit uniquement utilisé par les garçons, vu la propension des filles à bavarder trois heures au téléphone, certaines pourraient faire la boulette.

Alors que Caroline tente de punir l’impertinent de sa remarque sexiste en lançant une de ses bouteilles truquées à son visage, Valentino suggère que l’équipe procède à son habituel rituel en hommage à Mars pour attirer les faveurs divines sur leurs copies. Très enthousiaste, Bruno entame les hostilités d’un beau crochet du droit et les footballeurs se livrent vite à une ultime bagarre générale devant une assistance consternée.

Le lendemain matin, les préparatifs pour l’épreuve de philosophie l’après-midi s’accélèrent, chacun prépare un vrai plan de bataille, il faut dire que les cours de madame Léjeaut leur ont donné une impression si médiocre que Charles excepté, personne ne semble être au niveau pour cet examen.

Le retard est tel que Louis demande à Gabriel si Emmanuel Kant est bien portugais, mais son coéquipier lui rétorque vite qu’il serait impossible qu’un ancêtre de Bruno soit aussi brillant. Remarque qui vaudra, quelle bonne surprise, un début de bagarre perturbant une fois de plus la préparation.

Valentino, plus appliqué, a ajouté une corde à son arc en arborant une forte belle chemise incluant des caractères japonais, ayant appris quelques bases de la langue grâce à Tomi et Kasumi. Le seul risque aurait été qu’un des surveillants maitrise le japonais, mais n’oublions que nous sommes au lycée Robespierre de Sevran et qu’ils auraient déjà du mal à trouver quelqu’un qui lise l’italien, il y a donc de quoi être optimiste.

Durant l’examen tout se passe dans la bonne humeur, les seules choses que le surveillant a remarqué est qu’en effet la chemise de Valentino est très jolie et que tout ce petit monde avait tendance à boire beaucoup d’eau, mais après tout ce sont des sportifs, ils doivent avoir cette habitude, rien de suspect.

A la sortie chacun est satisfait de son coup, tout le monde a suivi l’avis de Tomi qui était de s’exprimer avec son coeur, par conséquent Bruno a dédié sa copie à Emmanuel Kant pour faire chier Louis, Gabriel a insisté sur les travaux d’Ibn Arabi, chose qui paraissait s’imposer vu le programme de terminale.

Caroline n’a pas hésité une seconde avant de se tourner vers Socrate, une époque avec tant de sportifs virils se trimbalant à poil, ça ne peut que l’intéresser. Louis, en bon passionné, a préféré évoquer Sócrates plutôt que Socrate, ce qui constitue une approche très originale du sujet. Presque aussi original que Khalid qui n’a cité aucun auteur pour bien montrer au correcteur qu’il a réfléchi au sujet plutôt que débiter tout ce qu’on lui a dit.

Valentino s’est, quant à lui, principalement penché sur les travaux d’Antonio Gramsci. Étrangement, personne n’a cité Bernard-Henri Lévy ou Alain Finkielraut, sans doute une marque de la montée de l’antisémitisme dans le monde du football.

Les examens s’enchainent dans la semaine qui suit. On ne peut pas nier qu’il y eut quelques incidents, comme lors de l’examen d’histoire où Bruno a rempli un paragraphe entier de commentaires dénigrants à l’égard des chansons de Taylor Swift qu’il présente comme des signes de l’apocalypse en réponse à une question sur les crimes contre l’humanité de Charles Taylor.

Bruno pourra toutefois se consoler devant les déboires en anglais de Khalid qui a cru dur comme fer que la phrase “There is a ketchup spot on your shirt there” voulait dire qu’il y avait une publicité pour une marque de ketchup sur un paquet de joints. Khalid qui pourra lui-même relativiser devant la copie de Louis en droit qui pensait qu’une jurisprudence voulait dire que le juge devait faire vachement attention avant de rendre son verdict.

Les problèmes de Gabriel sont tout autres, en effet la plus grande gaffe qu’il ait commise durant cette semaine d’effort est d’avoir dragué assez lourdement sa charmante examinatrice lors de l’épreuve de marketing avant de constater avec horreur que celle-ci portait une alliance.

Mais malgré ces menus incidents, Tomi est confiant pour un bon succès de ses troupes qui ont recraché deux bons tiers de leurs leçons sans rien comprendre grâce à ses anti-sèches, étant donné qu’on est en France et non en Finlande, cela devrait largement suffire.

D’ailleurs, force est de constater que les carences des jeunes sevranais ne sont pas si dramatiques comparé à certains de leurs homologues. Prenons par exemple le cas d’un jeune candidat issu du centre de formation de l’OM qui a cru que la mort de Marie Curie était liée à une trop forte exposition à l’opium ou encore celui d’un de ses homologues du PSG qui a cru bon de dire que la création de l’Union Européenne a provoqué la chute de l’empire romain.

Le jour des résultats, les attentes de Tomi sont comblées, c’est un triomphe collectif, tous les joueurs sont admis, et pour couronner le tout Khalid obtient une mention assez bien malgré son 3 en anglais, Gabriel une mention bien et Valentino une mention très bien.

On peut dire que les enseignants sont extrêmement surpris de ces résultats, à commencer par madame Léjeaut qui avait cru bon de déclarer devant ses collègues que s’il y avait plus de cinq admis dans son troupeau d’imbéciles, elle serait prête à traverser une autoroute les yeux bandés.

Mais les enseignants ne sont pas les seuls surpris, les médias habitués à se moquer des piètres résultats dans les centres de formation se sentent un peu obligés de corriger le tir devant cette surprenante réussite de 100 % et les caméras ne tardent pas à arriver au lycée Robespierre.

Alors que Louis planque rapidement la bouteille de whisky qui avait été dégainée pour fêter l’évènement afin de ne pas casser le gain d’image qui était le but principal de l’opération, les journalistes se précipitent vers Gabriel pour l’interviewer, après tout, la pépite de la Ligue 2 qui ramène une mention bien, c’est typiquement ce qui symbolise le mieux l’évènement pour eux.

Khalid ne peut pas s’empêcher de trouver un peu injuste que ce soit Gabriel qui soit interviewé alors que c’est Valentino qui a eu la meilleure moyenne du lot et qu’il a fortement aidé ses amis, mais Valentino lui dit qu’il est souhaitable que cela se passe ainsi étant donné que les chances qu’il incite vivement un journaliste à entrer en contact avec la population masculine grecque sont bien plus élevées qu’elles ne le sont avec Gabriel.

Loin de cette agitation, Caroline se retrouve dans le bureau de la direction, il faut dire que sa moyenne de 19 dans un établissement à la peine en a impressionné plus d’un, et le ministère entend bien en faire un modèle d’ascension sociale en lui proposant des études tous frais payés dans un Institut d’Études Politiques de province.

Caroline pose alors les données du problème d’une autre manière, elle a le choix entre devenir l’alibi d’une bande de technocrates qui s’en sont foutus d’elle, de tous ses camarades et de l’ensemble de ses professeurs jusqu’à aujourd’hui, chose qui lui donnera certes l’opportunité de se faire des ovaires en or en rejoignant ladite bande de technocrates ou entre rester parmi les siens et avoir une chance de contribuer à la meilleure chose qui soit arrivée à la ville depuis cinquante ans.

Elle se lève et quitte la salle en faisant savoir qu’elle refuse de servir de marionnette, et qu’ils n’ont pas intérêt à proposer la même chose à un des garçons, car elle n’est pas sur qu’eux sachent rester polis face à un tel concentré d’hypocrisie. Pas peu fière de son coup, Caroline sort du bâtiment et tombe sur Khalid qui a le plaisir à la convier à la célébration des résultats à la pizzeria du quartier.

Ce choix ne manque pas d’interpeller Caroline, pourquoi ne pas aller chez Abdullah comme d’habitude ? Khalid lui rappelle que c’est le soir de la finale de l’Euro Espoirs, opposant le Portugal à la Grèce. Et vu que Konstantínos mène la sélection grecque, voir un restaurant turc soutenant à 90 % l’équipe de Grèce, ça aurait fait tâche.

C’est donc à la pizzeria que la petite troupe se retrouve, les jeunes ne sont pas seuls, Tomi est venu pour fêter le succès de son plan, Kasumi est venue pour féliciter Caroline, Louis et Valentino et un peu pour voir le match et Marc a daigné posé le pied dans ce lieu d’horreur pour lui car c’est le seul endroit où il pouvait voir le match sans avoir peur que son streaming plante, entrainant dans son sillage Daniel et Mohamed.

Avant que le match commence, Caroline a le temps de conter sa petite rencontre avec les pontes du ministère à une assistance conquise, tout le monde aurait aimé voir ça, et tant pis si son coup de panache n’était pas une débauche de sincérité et de rébellion mais tout simplement une crainte de ne pas pouvoir aussi facilement tricher là bas que pendant le bac.

Alors que tout le monde sauf Marc se goinfre, celui-ci, viscéralement dégoûté par les pizzas américaines a préféré commandé quelques nuggets, le match s’apprête à commencer. Si à Prague la rencontre promet d’être serrée, à Sevran, la pizzeria a clairement choisi son camp, à part Bruno et son frère, tout le monde soutiendra la Grèce.
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