đŸŽ™ïž On refait le foot !

Samedi 9 janvier, l’inauguration du « Parc olympique lyonnais Â» va allonger la liste des stades modernes – nouveaux ou rĂ©novĂ©s – que le football français appelait si ardemment de ses vƓux. Une ardeur qui s’est accompagnĂ©e de maintes promesses et assurances que ces outils seraient financĂ©s sans douleur, qu’ils permettraient de mettre le football français Ă  niveau, et bien sĂ»r qu’ils attireraient un public suffisant pour les remplir.

S’il est encore tĂŽt pour faire un bilan, les premiers enseignements font courir les plus grands doutes sur l’atteinte de ces objectifs. Le premier est d’ores et dĂ©jĂ  invalidĂ©, notamment par le constat (pourtant prĂ©visible) que les partenariats public-privĂ© constituaient non pas la panacĂ©e annoncĂ©e, mais un piĂšge pour les finances publiques – bien illustrĂ© par le sidĂ©rant exemple niçois. Quant au public attendu, il se fait encore attendre.

BIEN BÂTIS, MAL REMPLIS

À Lille, Nice et Bordeaux, les nouvelles enceintes dĂ©jĂ  en service sont globalement de belles rĂ©ussites architecturales, mais leurs effets sur la frĂ©quentation sont divers et plutĂŽt dĂ©cevants [1]. Sur la premiĂšre moitiĂ© de saison, alors que le taux de remplissage global des stades de Ligue 1 est de 70%, les trois nouveaux stades « sous-performent Â» avec 52,3% pour Nice [2], 60,2% pour Bordeaux et 61,8% pour Lille. L’Allianz Riviera est Ă  moitiĂ© vide, le Matmut-Atlantique et le stade Pierre-Mauroy n’atteignent pas les deux-tiers de siĂšges occupĂ©s.

Également alarmante est la forte Ă©rosion de la frĂ©quentation constatĂ©e au-delĂ  la premiĂšre saison : moins 6.000 spectateurs Ă  Nice en 2015/16, alors que le club a rĂ©ussi une bonne demi-saison en proposant un jeu sĂ©duisant ; moins 10.000 Ă  Lille, oĂč le nombre d’abonnĂ©s est descendu de 30.500 en 2012/13 Ă  24.000 en septembre dernier (le LOSC ayant subi, lors deux derniers exercices, des parcours plus mĂ©diocres que les prĂ©cĂ©dents). L’effet de nouveautĂ© ne semble donc pas durer et, comme l’on pouvait s’y attendre, en France, seuls des clubs en pleine rĂ©ussite sportive peuvent prĂ©tendre faire durablement le plein – c’est-Ă -dire pas seulement pour les grosses affiches.

Le LOSC et l’OGC Nice peuvent toujours se prĂ©valoir d’avoir trĂšs sensiblement augmentĂ© leurs affluences « brutes Â». Mais le problĂšme visuel des grands vides dans les tribunes a sa contrepartie Ă©conomique, avec la rentabilitĂ© problĂ©matique des recettes de billetterie mises en regard des redevances d’utilisation et autres nouvelles charges.

DÉCEPTION À BORDEAUX ET MARSEILLE

Le (splendide) nouveau stade des Girondins rĂ©ussit mĂȘme l’exploit de faire Ă  peine mieux que le (splendide) stade Chaban-Delmas avec un gain de 1.700 spectateurs en moyenne. Il faut vraiment avoir la foi dans la modernitĂ© des « arenas Â» pour ne pas considĂ©rer que le gain de capacitĂ© – Ă  hauteur de 7.000 places – aura une utilitĂ© autre que ponctuelle [3].

Un constat analogue vaut pour le stade vĂ©lodrome de Marseille, complĂštement transformĂ© avec sa couverture, et qui a aussi augmentĂ© sa jauge de 7.000 siĂšges. Par rapport Ă  la (belle) saison 2010/11 – la derniĂšre dans l’ancienne configuration, les suivantes ayant Ă©tĂ© Ă©maillĂ©es de travaux qui ont fait varier le nombre de places disponibles –, l’OM est passĂ© de 85% de remplissage Ă  79% en 2014/15 et 65% cette saison. Pour, respectivement, un faible gain de 2.000 spectateurs, puis une forte perte de 9.000 : Ă  ce jour en 2015/16, les matches accueillent 44.000 visiteurs en moyenne contre 51.000 quatre ans plus tĂŽt


L’inquiĂ©tude est d’autant plus fondĂ©e que des affluences dĂ©risoires ont Ă©tĂ© enregistrĂ©es lors d’autres compĂ©titions que le championnat de France : 8.800 spectateurs Ă  Lille pour un 8e de finale de la Coupe de la Ligue contre Laval, 13.640 Ă  Bordeaux pour la rĂ©ception de Rubin Kazan en Ligue Europa, moins de 10.000 dans cette derniĂšre compĂ©tition pour l’OM face Ă  Braga et Groningue.

LOIN DU CƒUR DES VILLES

Au-delĂ  des raisons structurelles qui laissaient craindre le surdimensionnement des nouveaux stades, un autre facteur se concrĂ©tise : celui de leur accessibilitĂ©. Tous ont en effet remplacĂ© des Ă©quipements en lisiĂšre des hyper-centres pour faire migrer les spectateurs vers des pĂ©riphĂ©ries oĂč le foncier est moins cher et oĂč il est possible de mener des opĂ©rations immobiliĂšres, commerciales et urbanistiques. En s’en remettant aux collectivitĂ©s pour financer les amĂ©nagements routiers et les transports en commun.

Le problĂšme est particuliĂšrement sensible Ă  Bordeaux, oĂč le nouveau stade a Ă©tĂ© Ă©difiĂ© « dans un cul-de-sac Â» selon l’expression de GĂ©rard Chausset, prĂ©sident de la commission transports Ă  la mĂ©tropole. La capacitĂ© du tramway est insuffisante, et il manque au moins une bretelle d’accĂšs pour fluidifier le trafic automobile. Les questions de l’éloignement et de la desserte vont Ă©galement se poser Ă  Lyon, dont le stade sera desservi par deux lignes de tramway et environnĂ© de parking-relais assortis de navettes – un dispositif dont les limites font craindre des congestions, en particulier au retour.

L’attrait des nouveaux Ă©quipements peut-il compenser l’éloignement affectif (des anciens stades qui avaient leur Ă©paisseur historique, des centres-villes) et l’éloignement gĂ©ographique avec ses nouvelles contraintes ? CensĂ©es s’inscrire dans un projet de dĂ©veloppement urbain, ils courent le risque de devenir des structures hors-sol, pensĂ©es pour un spectateur fictif dont on a postulĂ© qu’il se dĂ©placerait plus loin si on lui offrait plus de confort et d’occasions de consommer.

PEU D’EFFET SUR LES AFFLUENCES GLOBALES

Pour les nouveaux stades français, l’épreuve de la rĂ©alitĂ© a commencĂ©, et elle est dĂ©jĂ  rude. Avec 40 Ă  50% de gradins vides, ils figurent en bas du classement du taux de remplissage : Lille (15e), Bordeaux (17e) et Nice (18e). Les stades agrandis et fortement remaniĂ©s de Saint-Étienne (9e avec 69%) et Marseille (11e avec 67%) sont en milieu de tableau.

Certes, tous ces stades figurent dans les neuf premiĂšres places au classement des affluences, et la frĂ©quentation ne constitue pas pour les clubs le seul levier de croissance attendu de leurs enceintes nouvelle gĂ©nĂ©ration [4]. Mais pour l’heure, celles-ci ne font pas significativement venir de nouveaux spectateurs, ou bien peinent Ă  les conserver. Ils ont peut-ĂȘtre, pour les premiers en service, contribuĂ© Ă  la hausse de frĂ©quentation depuis la saison 2012/2013, mais la tendance de la saison en cours est Ă  une baisse prononcĂ©e en dĂ©pit de l’agrandissement du parc [5].

On est en tout cas loin du bond espĂ©rĂ©, le championnat ayant simplement rattrapĂ© les niveaux atteints au milieu des annĂ©es 2000 (21.000 Ă  21.500 spectateurs). Ceci malgrĂ© l’apport du nĂ©o-PSG. Le Parc des Princes, dont la rĂ©fection s’est limitĂ©e Ă  une mise aux normes, constitue un cas d’espĂšce : il est passĂ© de 29.000 spectateurs de moyenne en 2010/11 Ă  47.000 quatre ans plus tard avec un taux de remplissage de 97% cette saison.

ERREUR SUR LE « MODÈLE Â»

Dans la conception des nouveaux stades, les facteurs sportif et humain ont Ă©tĂ© considĂ©rablement nĂ©gligĂ©s. Les deux sont liĂ©s dans l’évidence – constamment occultĂ©e – que la base populaire du football dans les villes françaises n’est pas de nature Ă  assurer une frĂ©quentation Ă  la fois suffisante et indĂ©pendante des rĂ©sultats. L’enracinement limitĂ© de la culture football en France aurait dĂ» discrĂ©diter les rĂ©fĂ©rences systĂ©matiques aux « modĂšles Â» allemands et anglais (qui ont pourtant toujours cours chez les experts).

CĂŽtĂ© sportif, la rĂ©ussite Ă©conomique des stades est directement liĂ©e aux performances des Ă©quipes : des relĂ©gations en division infĂ©rieure, comme au Mans ou Ă  Grenoble, produisent des dĂ©sastres ; des rĂ©sultats seulement bons n’assurent pas les affluences et la rentabilitĂ© espĂ©rĂ©es.

Or, et Ă  plus forte dans une compĂ©tition prĂ©emptĂ©e par le Paris Saint-Germain, il n’y a simplement pas de place pour tout le monde dans le haut du panier. CĂŽtĂ© humain, durant la pĂ©riode durant laquelle furent conçues et Ă©rigĂ©es les nouvelles arĂšnes, les supporters les plus fervents ont Ă©tĂ© rĂ©primĂ©s, privĂ©s de droits, de dialogue et de reprĂ©sentation, interdits arbitrairement de stade et de dĂ©placements [6]. Le pari hasardeux de leur substituer une population plus familiale, plus consommatrice et plus nombreuse confirme un grave dĂ©faut d’intelligence stratĂ©gique au sein du football professionnel.

L’avenir proche rendra son verdict sur ce qui apparaĂźt dĂ©jĂ  comme un surdimensionnement gĂ©nĂ©ral : pour l’heure, les nouveaux stades ont crĂ©Ă© plus de siĂšges vides que de spectateurs. Ce qui ne devrait pas troubler, ce week-end, la cĂ©lĂ©bration unanimement enthousiaste du Parc Olympique lyonnais et de ses 60.000 places.


[1] Les chiffres des autres stades rĂ©novĂ©es, outre le Parc des Princes, n’ont pas Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©s : le Stadium de Toulouse est en cours d’amĂ©nagement, le stade Geoffroy-Guichard de Saint-Étienne a connu plusieurs configurations durant les travaux, et le stade FĂ©lix-Bollaert de Lens hĂ©berge un Racing en Ligue 2.

[2] Pour ses statistiques, la Ligue du football professionnel (sur dĂ©cision du ComitĂ© stratĂ©gique stades) a demandĂ© aux clubs d’abandonner cette saison la « capacitĂ© prĂ©fectorale Â» au profit de la « capacitĂ© commerciale Â» qui correspond aux places effectivement mises en vente (excluant les places sans visibilitĂ©, la tribune de presse ou le « no man’s land Â» qui borde les sections visiteurs, ce qui a pour effet d’amĂ©liorer le taux de remplissage). Alors que pour la plupart des stades, la variation a Ă©tĂ© faible, pour celui de Nice, le chiffre est passĂ© sur le site de la LFP de 35.624 Ă  27.478. Au club, on explique que le chiffre correct est en rĂ©alitĂ© 31.008, et on affirme que la LFP a demandĂ© d’exclure aussi du compte la tribune visiteurs – ce que la Ligue dĂ©ment. Quoi qu’il en soit, on a conservĂ©, pour les donnĂ©es prĂ©sentĂ©es, la jauge initiale de 35.624, tout comme celle du VĂ©lodrome de Marseille (67.354 et non 65.960 comme prĂ©sentĂ© dĂ©sormais sur lfp.fr) et du stade Pierre-Mauroy (69.834 et non 69.000).

[3] Le record d’affluence des Girondins a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© face Ă  Liverpool en Ligue Europe, avec 35.328
 soit Ă  peine plus que la capacitĂ© de l’ancien stade.

[4] Ils comptent Ă©normĂ©ment sur l’économie des loges pour rentabiliser leur dĂ©mĂ©nagement, ainsi que sur la hausse de toutes les recettes de jour de match (lire « Le football au prix fort pour les spectateurs Â»).

[5] Dans un sens comme dans l’autre, de nombreux facteurs jouent, comme la taille du public potentiel et la capacitĂ© des stades des promus et relĂ©guĂ©s, les performances des « grosses Â» Ă©quipes et des dĂ©terminants plus conjoncturels, comme la rĂ©surgence du risque terroriste.

[6] Ce qui ne peut amĂ©liorer les chiffres. 174 matches ont fait l’objet d’interdictions de dĂ©placement cette saison (toutes compĂ©titions confondues pour les clubs de L1 et L2), selon le dĂ©compte de l’Association nationale des supporters.

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