En fait, comme tu le sais probablement déjà, on n’a pas les résultats bruts des sondages, les sondeurs peuvent ajuster eux-mêmes ce qu’ils ont sous la main (ceci dit, il ne faut pas oublier qu’ils sont surveillés par une commission, donc ils ne peuvent pas vraiment décider du jour au lendemain que Hamon vaut 28 alors qu’ils ont 7 % de répondants qui le nomment).
La théorie du “herding”, c’est qu’à l’approche d’une élection, les sondeurs peuvent être tentés d’utiliser le redressement pour se rapprocher du résultat des autres sondeurs pour éviter d’être les seuls à perdre en crédibilité en cas d’erreur majeure.
Pour t’expliquer le raisonnement il y a quatre situations :
- Tu es le seul à donner le bon résultat : Bingo, tu es la star pendant 5 ans
- Tout le monde dit bon : Aucune raison de changer
- Tout le monde dit faux : Bah, ils auront toujours besoin de sondages, ça ne changera que peu de choses, à part 2-3 humiliations à la TV
- Tu es le seul à donner le mauvais résultat : Tu as le droit à l’humiliation publique, mais là en plus, il y a des concurrents prêts à prendre tes clients, forts d’une meilleure image.
Quand tu es bien établi comme tous les principaux instituts français, tu n’as aucun intérêt à risquer d’être le seul à te tromper. D’ailleurs en regardant les sondages de cette année, le seul à avoir risqué d’annoncer un 2e tour autre que Macron - Le Pen, c’est un institut qui n’a aucun gros client en France; et qui n’a donc sans doute pas grand chose à perdre de diverger des autres.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_de_sondages_sur_l’%C3%A9lection_pr%C3%A9sidentielle_fran%C3%A7aise_de_2017
Ainsi, poussés à lisser les résultats, les sondeurs auraient tendance à ne pas publier les sondages qui divergeraient fortement, alors qu’ils pourraient être annonciateurs d’une surprise (par exemple aux Etats-Unis en 2016, il y a eu dans chaque état gagné par Trump sauf 1 au moins un sondage récent qui le donnait en tête, c’est pour ça que Nate Silver, le spécialiste des sondages, lui donnait une chance sur 3 de gagner le jour du vote, mettons ça en contraste avec nos médias qui avaient déjà sacré Clinton).
La limite de ce raisonnement, c’est que les sondages français ont été historiquement proches les uns des autres et plutôt performants (je sais qu’il est bon ton de s’en moquer, mais les instituts français sont nettement plus précis que ceux de nombreux pays, Etats-Unis et Royaume-Uni inclus), avec les exceptions de 1995 (grosse erreur statistique, mais petites conséquences comme le 2e tour était celui annoncé à la veille du vote) et de 2002 (erreur statistique moyenne, mais énormes conséquences).
On pourrait donc supposer que ce n’est pas forcément un calcul qui les pousse à converger, mais peut-être juste la qualité de leur méthode. Et que donc dans ce cas, utiliser la même approche statistique que pour déterminer le “herding” dans des sondages américains serait un contresens.
De plus, il ne faut pas oublier que la marge d’erreur est plus petite si on parle de scores comme 20 % que quand on parle de scores comme 50 %, le fait qu’il y ait plus de dispersion avec 2 candidats qu’avec 11 est donc normal. C’est d’ailleurs démontré par les sondages de 2e tour, qui, s’ils convergent sur le nom du gagnant, divergent fortement sur l’écart.
Ceci dit, ce qui pousse beaucoup de monde à penser au “herding” cette année, c’est que le vote semble particulièrement serré, les sondages de 2007 et 2012 convergeaient beaucoup, mais le premier tour semblait tout tracé, donc a priori sans réelle difficulté pour un sondeur, à partir du moment où on restait concentré sur le haut de tableau.
Cette année, le fait que ce soit très serré, qui plus est avec une configuration inédite qui sort les sondeurs de leur zone de confort, fait penser qu’il aurait fallu tôt ou tard le sondage choc pour nous alarmer d’une éventuelle surprise.
Ceci dit, attention, même avec les scrutins récents qui ont eu leur lot de surprises, n’oublions que le sondage “choc” a souvent beaucoup plus de probabilités d’être faux que vrai, c’est juste un signal d’alarme potentiel s’il y a un obstacle au bon fonctionnement des sondages.
Et le pire c’est qu’on peut le voir chez tous les candidats le signal d’alarme potentiel :
- Le Pen : Classique, 2002, tout ça…
- Fillon : On peut supposer que des gens aient juste honte de voter pour lui (même si le fait que les sondages soient majoritairement en ligne pourrait estomper ça)
- Mélenchon : Il a eu une montée fulgurante en début de campagne officielle, ce ne serait pas fou que les instituts aient un peu freiné, surpris de telles variations.
- Macron : Pour tout ce qu’on dit sur ses liens avec les propriétaires des instituts, il est pondéré à la baisse (voir l’Envoyé Spécial sur les sondages où OpinionWay montre un redressement) et il représente un type d’offre assez inédit en France, si les instituts ont choisi le mauvais biais, la surprise ça pourrait être qu’il est bien plus haut que prévu.