Slash, guitariste de Guns Nâ Roses : « Ce disque de reprises de blues est cathartique pour moi »
Avec « Orgy of the Damned », le musicien sâoffre une sixiĂšme escapade en solo, une collection de reprises de standards du blues, entourĂ© notamment dâIggy Pop, de Brian Johnson et de Billy F. Gibbons.
Propos recueillis par Franck Colombani
Il est lâun des derniers dâune espĂšce en voie dâextinction : le guitar hero. Saul Hudson, plus connu sous lâalias Slash, est une personnalitĂ© du rock pesant plus de 100 millions dâalbums vendus, un soliste de luxe pour Michael Jackson, Bob Dylan, Chic, Rihanna⊠LâAnglo-AmĂ©ricain, nĂ© Ă Londres en 1965, qui a grandi en Californie, doit sa notoriĂ©tĂ© Ă son groupe Guns Nâ Roses, formĂ© en 1985, quâil quitte dix ans plus tard. Depuis, Duff McKagan, le bassiste de la premiĂšre heure du groupe, et Slash se sont rĂ©conciliĂ©s avec le chanteur Axl Rose. Les ex-enfants terribles du hard rock ont rĂ©alisĂ©, en 2019, lâune des tournĂ©es des stades les plus lucratives de lâhistoire du rock.
A peine clĂŽturĂ©e sa derniĂšre date, le 29 avril au ZĂ©nith de Paris avec Myles Kennedy and The Conspirators, lâhomme Ă la Les Paul publie son sixiĂšme opus solo, Orgy of the Damned, oĂč il sâessaie pour la premiĂšre fois â du moins sur la durĂ©e dâun album â Ă lâautre musique du diable quâil affectionne, le blues. Un recueil dĂ©capant de reprises de standards (Hoochie Coochie Man, Born Under a Bad Sign, Oh WellâŠ) auquel ont Ă©tĂ© conviĂ©es quelques lĂ©gendes (Iggy Pop, Billy F. Gibbons, Brian Johnson) et des Ă©toiles montantes (Gary Clark Jr, Dorothy, Tash NealâŠ).
Clarifions dâemblĂ©e : le sujet Guns Nâ Roses, comme souhaitĂ© par le management, sera, durant cet entretien, Ă©vitĂ©. DĂ©lestĂ© de son fameux chapeau haut de forme, mais portant toujours ses lunettes Aviator qui ne laissent rien paraĂźtre de son regard, Slash, dĂ©tendu et affable, reçoit dans un salon privĂ© du boulevard des Capucines, Ă Paris, le showroom de la marque de guitares Gibson, dont il est lâun des emblĂ©matiques ambassadeurs.
Vous venez dâenregistrer votre premier album de blues, Ă lâĂąge de 58 ans. LâidĂ©e nâĂ©tait-elle pas envisageable Ă 30 ans ?
Jâai toujours pensĂ© que jâenregistrerais un album de reprises de ce genre. Je suis un guitariste de rock, mais le blues est lâune de ses fondations. Ce disque est cathartique pour moi. Jâai formĂ© mon premier groupe de reprises blues, Blues Ball, vers lâĂąge de 33 ans, en 1998. On jouait uniquement dans des bars et des clubs. A cette pĂ©riode, je nâĂ©tais plus dans Guns Nâ Roses, jâessayais de rĂ©flĂ©chir Ă lâorientation de ma carriĂšre. En mĂȘme temps, câĂ©tait amusant de ne pas trop se prendre au sĂ©rieux. Le groupe sonnait vraiment bien. Jâai mĂȘme pensĂ© que nous ferions un disque, mais je nây suis tout simplement pas parvenu. Et nous voilĂ , vingt-cinq ans plus tardâŠ
Adolescent, alors apprenti guitariste, étiez-vous déjà réceptif à la musique blues ?
Oui, bien avant que je joue de la guitare. Je me souviens, Ă lâĂąge de 8 ans, dâavoir entendu pour la premiĂšre fois B. B. King. Sa musique mâa parlĂ© alors que je nâavais aucune aspiration Ă devenir musicien, Ă ce moment-lĂ . Je me suis toujours identifiĂ© au blues, car jâaimais sa cruditĂ©, lâalternance des rythmes et lâaspect narratif des paroles. Tout cela Ă©tait trĂšs viscĂ©ral. Et quand je me suis mis Ă la guitare, la premiĂšre chose que jâai voulu apprendre, câĂ©tait un plan de blues. Quand jâai rĂ©ussi Ă exĂ©cuter ces notes â eurĂȘka ! â, câĂ©tait comme si le ciel sâĂ©tait ouvert.
Cette musique a toujours Ă©tĂ© un pilier de mon style. Au dĂ©but des annĂ©es 1980, jâavais 15 ans en Californie, tout le monde ne jurait que par Eddie Van Halen [guitariste virtuose du groupe de hard rock Van Halen]. Je prĂ©fĂ©rais personnellement le blues de la vieille Ă©cole, tout en rĂȘvant de former un putain de groupe de hard rock, fort et bruyant. Le blues Ă©tait un Ă©lĂ©ment important de mes groupes prĂ©fĂ©rĂ©s, Aerosmith, les Rolling Stones et AC/DC.
Cet Ă©lĂ©ment sâest progressivement estompĂ© avec lâĂ©mergence du heavy metalâŠ
Certainement. Le cĂŽtĂ© amusant, dans tout ça, câest que le groupe fondateur du metal, Black Sabbath, Ă©tait aussi beaucoup imprĂ©gnĂ© par le blues. Ce que les gĂ©nĂ©rations suivantes retiennent de la musique est parfois surprenant. Voyez Eddie Van Halen, le blues faisait partie de ses influences. Tout le monde voulait copier sa technique du tapping [technique guitaristique consistant Ă taper une corde plutĂŽt quâĂ la gratter ou Ă la pincer], mais sans retenir son caractĂšre Ă©motionnel. Et câest pourtant ce qui le rendait gĂ©nial, mĂ©langer sa virtuositĂ© avec son jeu fluide et habitĂ© par le blues. Et câest pareil pour Black Sabbath, la plupart des suiveurs nâont retenu que la puissance et la lourdeur de leur musique. Mais ce sont aussi leurs structures mĂ©lodiques qui font la grandeur du groupe.
« Orgy of the Damned » possĂšde un son assez brut, qui tranche avec vos prĂ©cĂ©dents disques, davantage produits. Comment lâavez-vous conçu ?
Je ne suis pas partisan dâune grosse production. Notre album avec The Conspirators [4, en 2022] a Ă©tĂ© enregistrĂ© dans des conditions live, Ă Nashville [Tennessee]. Et pourtant il ne sonne pas comme Orgy of the Damned, qui a Ă©tĂ© conçu de la mĂȘme maniĂšre. La diffĂ©rence repose plutĂŽt dans le matĂ©riel : jâai jouĂ©, cette fois, sur deux guitares Les Paul, mais aussi sur des Fender Telecaster et Stratocaster, une Gibson ES-335. Lâampli combo 50 watts que jâai utilisĂ© avait un son trĂšs brut, son impact est indĂ©niable. Il y a aussi le travail de Mike Clink [producteur de Guns Nâ Roses], son approche est trĂšs sĂšche et vivante. Nous nâavions pas collaborĂ© depuis mon ancien groupe, Slashâs Snakepit, en 1995, mais nous Ă©tions restĂ©s en bons termes.
Câest un album de blues, mais on y trouve aussi des reprises soul et RânâB, telles que « Papa Was a Rolling Stone » et « Living for the City »âŠ
Tout Ă fait. Mais ce nâest pas vraiment un disque de blues, je dirais plutĂŽt « influencĂ© par le blues ». Les disques de blues sont vraiment Ă prendre au sĂ©rieux. Je ne suis pas Joe Bonamassa, qui est connu pour ça. Je joue dans un groupe de hard rock depuis mes dĂ©buts, il est difficile pour moi de prĂ©tendre que je fais du blues.
Le casting des invités est impressionnant. A-t-il été difficile de tous les réunir ?
Non, câest juste un long processus. Les sĂ©ances en studio avec mes musiciens ont seulement durĂ© une semaine Ă Los Angeles. Mais il Ă©tait impossible de rĂ©unir tous les chanteurs dans ce laps de temps. Seuls Beth Hart et le guitariste Gary Clark Jr ont enregistrĂ© avec nous dans la mĂȘme piĂšce. Pour le reste, il a fallu ĂȘtre patient, en fonction des disponibilitĂ©s de chacun et des lieux. La plupart du temps, je prenais un avion pour rejoindre le chanteur et travailler dans un studio Ă proximitĂ© de son domicile. Avec Brian Johnson [AC/DC], nous lâavons fait en Floride. Pour Paul Rodgers et Billy Gibbons, câĂ©tait Ă Palm Springs [Californie]. Demi Lovato a son propre studio Ă Los Angeles. Et puis Steven Tyler [Aerosmith], Chris Robinson [The Black Crowes] et Dorothy [Martin] ont enregistrĂ© dans mon petit studio, en Californie.
Paul Rodgers interprĂšte « Born Under a Bad Sign ». En 1993, vous aviez participĂ© Ă son album « Muddy Waters Blues », votre premiĂšre incursion officielle dans ce styleâŠ
Câest bien possible, je nây avais encore jamais pensĂ© ! Ce fut un honneur que dây participer avec Jeff Beck, David Gilmour, Gary Moore, Brian May⊠Jâai aussi enregistrĂ© avec lui, la mĂȘme annĂ©e, une reprise de Jimi Hendrix [I Donât Live Today, sur lâalbum hommage Stone Free]. Jâai fini par donner beaucoup de concerts Ă ses cĂŽtĂ©s, mĂȘme lorsquâil a rejoint Queen.
Une autre de vos vieilles connaissances, Iggy Pop, reprend le sombre et mĂ©connu « Awful Dream », de Lightninâ Hopkins. Comment est-il arrivĂ© sur le projet ?
Je nâavais pas encore choisi toutes les chansons de lâalbum, et mon bassiste me souffle quâIggy Pop a toujours voulu faire un projet de blues. Je lâappelle, il me confirme quâil nâen a tout simplement jamais eu lâoccasion. Et, spontanĂ©ment, il me propose ce morceau de Lightninâ Hopkins. Jâai Ă©coutĂ© ce titre et, une semaine plus tard, on sâest retrouvĂ©s Ă en faire une version acoustique, impromptue.
Autre prĂ©sence notable, le chanteur dâAC/DC, Brian Johnson, sur « Killing Floor », dont les collaborations se font rares hors de son groupe⊠Comment lâavez-vous convaincu ?
Je suis ami avec Brian depuis longtemps, câest un gars adorable. Je suis sĂ»r quâil ne fait pas beaucoup de collaborations, car personne nâose probablement faire une demande au chanteur dâAC/DC. Pourtant, son style de chant est trĂšs influencĂ© par le blues, particuliĂšrement par Howlinâ Wolf. Jâai tout de mĂȘme demandĂ© lâautorisation aux boys [AC/DC], qui mâont donnĂ© le feu vert. Et Steven Tyler, dâAerosmith, y joue aussi de lâharmonica. Les rĂ©unir sur Killing Floor, qui nous a tous influencĂ©s, Ă©tait important pour le gamin de 15 ans que jâai Ă©tĂ©.
La guitare Gibson Les Paul a été créée en 1952. Comment expliquez-vous que ce soit toujours un modÚle de référence, soixante-douze ans aprÚs ?
Je joue depuis toujours principalement sur une Les Paul Standard, mais je nâai pas eu de contrat officiel avec la marque Gibson avant 2010, pour mon premier modĂšle signature. Câest simplement une trĂšs bonne guitare, qui sonne bien, belle et solide. Beaucoup de nouvelles marques continuent de sâen inspirer. Dâailleurs, lorsque Gibson a essayĂ© de changer un peu le modĂšle, pendant la premiĂšre partie du millĂ©naire, les gens ont dit : « Ne foutez pas en lâair ce qui marche bien ! » Il ne faut pas toucher Ă un systĂšme qui fonctionne.
Vous avez fait une apparition lors de la derniĂšre cĂ©rĂ©monie des Oscars pour interprĂ©ter le solo de « Iâm Just Ken », avec Ryan Gosling. Si vous ne deviez choisir quâun seul de vos concerts emblĂ©matiques, parmi ceux avec Michael Jackson, le Freddie Mercury Tribute en 1992 ou le Super Bowl en 2011, lequel serait-ce ?
Il y en a eu beaucoup, mais parmi ceux que vous mentionnez, je choisirais probablement le Freddie Mercury Tribute, qui fut une journĂ©e trĂšs spĂ©ciale. Jouer avec Michael Jackson Ă©tait aussi gĂ©nial, mais lâhommage Ă Freddie Mercury, lâĂ©vĂ©nement en tant que tel, Ă Wembley [Ă Londres], et le simple fait dâen faire partie Ă©taient vraiment, vraiment cool.