“Hanouna, il les fait tous flipper” : comment l’animateur de “TPMP” s’est imposé en caïd de la télé
INFO TÉLÉRAMA – À l’antenne, il dézingue tout ce qui bouge. Et poursuit ses intimidations hors-caméra. Nous avons enquêté sur les méthodes de l’homme le plus controversé du petit écran, sujet ce jeudi de “Complément d’enquête” sur France 2.
«Ce sera la fin de Complément d’enquête […], parce que je vais mettre mon nez dedans. Et vous savez que quand je mets mon nez quelque part, […] je fais souvent tout péter. » Ce lundi de mai 2023, dans Touche pas à mon poste ! sur C8 (groupe Canal+), Cyril Hanouna brandit son arme habituelle : la menace. Cette fois, contre le magazine d’investigation de France 2, coupable de préparer un portrait fouillé de lui, diffusé le jeudi 30 novembre. Pendant des mois, l’animateur a tout tenté pour déstabiliser ses équipes… Jusqu’à recruter son ancien présentateur, Jacques Cardoze, venu dézinguer dans TPMP ses ex-camarades du service public. Du Hanouna tout craché : ses méthodes pour asseoir son emprise secouent le monde des médias. Trop longtemps, ce dernier n’a vu en lui qu’un amuseur public, avant d’assister, impuissant, à sa métamorphose en caïd du PAF. Aujourd’hui, l’animateur est devenu l’homme le plus craint de la télé. Un parrain.
À l’antenne, depuis dix ans, il s’est payé la quasi-totalité des visages du petit écran ou de la radio. « Cons comme la lune », « abrutis », « connards » : en 2018, il insulte les dirigeants de TF1, groupe dont il a étrillé les têtes d’affiche, d’Arthur à Yann Barthès, de Karine Ferri à Camille Combal, d’Alain Chabat à Christophe Beaugrand. « Cyril, petit à petit, c’est devenu Trump. C’est celui qui dans la cour de l’école faisait peur à tout le monde mais que personne n’osait dénoncer », souffle l’une de ses cibles. Contacté à plusieurs reprises, l’animateur a refusé de nous répondre.
Le service public n’est pas en reste : de Nagui à Michel Cymes, d’Élise Lucet à Bertrand Chameroy, beaucoup ont pris cher. Pour le journaliste Patrick Cohen, qui s’est vu traiter de « mec [ayant] tout raté dans sa carrière », la virulence de Cyril Hanouna a cassé les codes. « La tradition dans le monde de l’audiovisuel était de rester beau joueur malgré la concurrence. Il participe à la violence endémique du débat public et du climat de dénigrement », confie-t-il.
Après une chronique assassine, l’animateur s’est vengé de Sophia Aram en attaquant violemment sa mère en direct. « C’est toujours la même méthode, décrypte l’humoriste. Il met ta gueule en grand derrière lui en plateau, déverse son fiel, te désigne comme une cible, dans le silence de ses chroniqueurs. » Un ancien de la bande analyse : « Cyril a compris que le pouvoir s’exerce par la pression, et fait de son émission une arme. Le jour où, en 2015, Bolloré lui a signé un contrat à 250 millions d’euros [pour produire ses émissions sur cinq ans, ndlr], je l’ai vu s’enfoncer dans un personnage humiliant avide de pouvoir. »
Une fois les caméras éteintes, les intimidations continuent. Un ancien communicant d’une importante entreprise de production nous décrit ainsi minutieusement le coup de fil de celui qu’il connaissait à peine, un matin de 2015. Et cette phrase, qu’il n’a pas oubliée. « Je vais te casser les deux jambes. Plus jamais tu ne pourras aller sur un plateau télé », l’aurait menacé Hanouna, furieux qu’un scoop lui soit passé sous le nez. Contactées, deux de ses anciennes patronnes confirment l’épisode, et reconnaissent avoir dû le décharger de sa mission.
« Si tu continues, je t’envoie quelqu’un en bas de chez toi, il va te faire faire le tour du quartier dans le coffre. » Cette fois, c’est un journaliste qui nous certifie avoir eu la surprise, en 2018, d’entendre la voix d’Hanouna, juste après avoir publié un tweet où il analysait les audiences des talk-shows. Sollicité sur les propos qui lui sont prêtés, Cyril Hanouna n’a pas souhaité faire de commentaire. En septembre, il confiait sur France 5 que sa mère répétait quand il était petit : « Cyril, ce sera Bernard Tapie ! »
« Mais c’est sa vie à Cyril, il est comme ça ! » élude en riant l’un de ses amis. Ses équipes minimisent. « C’est de l’instant T, aucune des personnalités critiquées à l’antenne n’est vraiment fâchée ! » voudrait croire un collaborateur. « Il dit ce qu’il pense, au moins c’est sincère. Il ne se rend pas compte qu’il blesse, le défend un membre de la direction de Canal+. Il est en surrégime, mais c’est un sensible, qui vit les attaques comme une trahison. » Plusieurs témoins continuent pourtant de s’émouvoir de la « violence irrationnelle » de ses SMS. « Il y a forcément un moment où on a la trouille… On se dit : qu’est-ce qui peut m’arriver ? » raconte une ex-cadre de la télé, traumatisée.
Peur des représailles
La méthode, en tout cas, fonctionne : une chape de plomb s’est écrasée sur le PAF, où, répète-t-on, « son influence tient à son pouvoir de nuisance ». La majorité des soixante-quatre personnes interrogées par nos soins ont, par peur de représailles, exigé l’anonymat. « Il les fait tous flipper », résume l’une des femmes les plus respectées des médias. Beaucoup cherchent encore la recette pour le « gérer ». Les talk-shows rivaux, comme C à vous (France 5) ou Quotidien (TMC) ont décidé de faire comme si Hanouna n’existait plus. Yann Barthès n’a pas apprécié, il y a plusieurs années, le coup de fil furibard de son concurrent, un soir à 22 heures… « Hanouna, comme Pascal Praud, a besoin d’ennemis. À un moment, il faut laisser ces gens tourner en rond », théorise-t-on à Quotidien.
« Cyril, si tu lui donnes du compliment et de la considération, c’est un agneau. Seul Nicolas de Tavernost [patron de M6 et RTL, ndlr] l’a compris, c’est l’un des rares à savoir y faire », assure un ancien ami d’Hanouna. C’est ainsi qu’en 2021 la direction de la rédaction de RTL insiste auprès de ses équipes pour que l’animateur soit invité à 7h45, dans le créneau phare de la matinale, dévolu aux politiques, pour promouvoir son livre sur la France, écrit avec l’éditorialiste Christophe Barbier. Au sein de la station, des dents grincent… Sollicité, Nicolas de Tavernost ne nous a pas répondu.
France Télévisions se tient à bonne distance. Delphine Ernotte, sa présidente, a apprécié les rares déjeuners avec lui où ils ont parlé télé. Il arrive à Stéphane Sitbon, son numéro 2, d’échanger avec lui par SMS. « Sitbon, je l’adore, c’est un bon pote à moi ! » paradait Hanouna le 21 septembre dans TPMP. Michel Drucker, vétéran du petit écran, le défend. « C’est un showman qui va le plus loin possible. On ne peut pas faire trois heures de direct chaque soir depuis douze ans sans qu’il y ait des balles perdues », relativise-t-il.
N’empêche, personne ne veut vivre ce qu’a dû affronter Sibyle Veil, la pdg de Radio France, quand elle a dénoncé sur Twitter « la société du défouloir » après qu’Hanouna eut flingué l’audiovisuel public à coups de « privatisez-moi ça ! ». Le soir même, il projetait sa photo sur le grand écran de TPMP et dévoilait son (faux) salaire. « Comme sur les affiches de western, quand on met la tête à prix », compare-t-elle aujourd’hui, déplorant un « climat d’intimidation ». « Quand ça dépasse les bornes, il faut répondre, sans être dans l’affrontement, mais répondre », insiste-t-elle.
Un directeur de la com d’une chaîne résume le dilemme : ne pas « nourrir la bête » mais « ne pas se laisser diffamer ». Le médecin et visage de France Télévisions Michel Cymes s’est fixé une règle : « ne pas me laisser insulter », rapporte-t-il. « Ma façon de répondre est d’agir, par l’intermédiaire de mon avocate. » TF1 a opté pour la voie judiciaire. En 2019, l’animatrice Karine Ferri a obtenu la condamnation de C8 pour préjudice moral, après la diffusion de photos dénudées dans TPMP. En mars dernier, la Une a déposé une nouvelle assignation après les attaques d’Hanouna contre le late show d’Alain Chabat. L’animateur Arthur a saisi en 2021 le tribunal de commerce de Paris, dénonçant un « système de dénigrement organisé ». Il a versé au dossier trente-trois séquences de TPMP. « Liberté d’expression », ont opposé les conseils d’Hanouna. Dans son jugement du 4 juillet dernier, le tribunal a reconnu « des propos litigieux constitutifs d’un dénigrement », mais rejeté ses demandes de dommages et intérêts.
Au sein du groupe Bolloré, aucune critique du système Hanouna n’est tolérée. Une protection grâce à laquelle prospère l’enfant de la télé, soutenu par Vincent Bolloré, son grand patron, dont l’empire médiatique s’étend… Sur Europe 1, deux chroniqueurs de l’émission Culture médias ont ainsi été recadrés en 2022 par la direction après avoir notamment mentionné à l’antenne une condamnation de TPMP par l’Arcom (ex-CSA). « On m’a demandé d’arrêter de taper sur le groupe Canal+, alors que je ne faisais qu’informer », raconte l’un d’eux.
« Après une chronique ironique, Hanouna a appelé Constance Benqué [présidente de Lagardère News, ndlr] et j’ai été prié de ne plus parler de lui », ajoute un autre. Contactée, Constance Benqué indique ne pas se souvenir de cet appel. « Quand Cyril trouve qu’Europe 1 y va un peu fort, il le dit, mais pas plus que d’autres !, s’exclame-t-elle. Les journalistes sont libres, mais il y a une logique de groupe, puisque Europe 1 codiffuse des émissions avec CNews. »
Un sujet tabou
Le sujet s’est même invité à la table d’une réunion du CSE (comité social et économique) de la station, le 17 novembre 2022. « Certains sujets sont-ils interdits ?, interroge un élu. — Nous faisons partie d’un groupe et nous n’avons pas vocation à feuilletonner sur des éléments du groupe », répond Donat Vidal Revel, directeur général d’Europe 1, selon le compte rendu auquel nous avons eu accès. « Il n’y a aucune interdiction d’évoquer certains sujets », poursuit-il, appelant à parler de manière « sobre » des possibles difficultés. Le malaise éditorial s’est soldé par le départ de trois chroniqueurs, dont le journaliste Bruno Donnet. « Personne n’est capable de dire à Hanouna d’arrêter quand il se met hors des clous », observe celui-ci, pointant la responsabilité de Vincent Bolloré.
Dans le groupe Prisma Media (Télé-Loisirs, Télé 2 semaines, Voici…), que possède aussi l’homme d’affaires, l’omerta est la même. « Consigne a été donnée oralement au service télé de se concentrer sur les histoires des chroniqueurs mais de ne pas reprendre les infos négatives sur Cyril Hanouna », certifie un ex-salarié de Télé-Loisirs. « Je n’ai jamais entendu parler de consigne », s’étonne la direction de la communication. Le site du magazine télé n’a pas fait d’article sur les insultes d’Hanouna au député LFI Louis Boyard, en novembre 2022, pourtant sanctionnées par une amende record de l’Arcom de 3,5 millions d’euros. « Hanouna, c’est un sujet tabou. On sait que si on parle de lui, ça va être le bordel. C’est terrible à dire, mais l’autocensure est devenue un réflexe », explique un journaliste en interne.
Chez Voici ou Gala (désormais propriété du Figaro), on ne parle pas de la vie privée de l’animateur — les lecteurs n’en seraient pas « friands ». Si ses amis l’expliquent par sa vie « trop banale », certains suggèrent que sa proximité avec Michèle Marchand, dite « Mimi », pourrait aussi compter. L’influente patronne de l’agence Bestimage, reine des paparazzis qui fait la pluie et le beau temps sur les infos people, est en contrat avec H20, la société qui produit TPMP, pour réaliser des photos de l’équipe ou illustrer l’émission. Hanouna l’appelle sa « seconde maman » (1). « C’est un client comme un autre », répond-elle.
Dans l’ombre, un autre homme lui a aussi permis d’étendre son influence : Stéphane Courbit. À la tête de Banijay, leader mondial de la production télévisuelle (TPMP, Fort Boyard, Taratata, Star academy…), le milliardaire a racheté sa société H20, avant de l’accueillir au conseil de surveillance, d’où il a pu observer de près la vie de la télé. Sur C8, les émissions d’Hanouna concentrent 49 % des recettes publicitaires, selon la chaîne. « Dans le groupe Canal, c’est lui le directeur des programmes », insiste un journaliste. Une formule répétée de toutes parts, qui agace la direction : « C8, c’est une famille, on fait tout ensemble, et ça, personne ne l’a compris ! » Au printemps 2021, l’animateur se serait bien vu débarquer avec sa bande sur Canal+, le soir, pour une émission en clair. Mais Vincent Bolloré, in fine, a fermé la porte. Le caïd du PAF n’en est pas encore le grand patron.
(1) Déclaration faite aux auteurs de Mimi (éd. Grasset), Jean-Michel Décugis, Pauline Guéna et Marc Leplongeon.