En ce mois de septembre 2019, Netflix a diffusé sur sa plate-forme une nouvelle mini-série policière nommée Unbelievable. Elle raconte une histoire vraie d’une victime de viol qui n’a pas été cru par les enquêteurs et qui finira même par être accusée de fausse déclaration. 3 ans plus tard et à des milliers de kilomètres de là, deux enquêtrices unissent leurs forces pour faire tomber un violeur en série. En plus d’être une bonne série, Unbelievable (re)met en lumière la faillite d’un système qui facilite le travail des violeurs…
La difficulté d’être entendu·e
Quand découvre le nombre de femmes qui disent avoir été agressées et le nombre de plaintes déposées, la différence saute aux yeux de tous. Une des raisons pour laquelle les victimes ont du mal à déposer plainte c’est la peur de ne pas être crue. Le premier épisode d’Unbelievable illustre parfaitement ce constat, et ouvre les yeux sur d’autres problèmes qu’affrontent les victimes.
Marie fait face à des enquêteurs froids, mais à première vue à l’écoute, la victime doit malheureusement répéter le fil des évènements une fois, une seconde. Puis une nouvelle fois. À l’examen médical, pareil. Fatiguée, traumatisée, elle se montre parfois imprécise à mesure que de nouveaux détails lui viennent ou tête, ou lui sortent de la tête. La chronologie n’est pas parfaite et la moindre erreur peut s’avérer fatale. Si les enquêteurs semblent prendre l’affaire au sérieux, ils sont prêts à sauter sur la moindre occasion pour tout arrêter. Ce doute dans les yeux des policiers est un sujet qui revient souvent dans les propos des victimes de viol, aux US comme ailleurs.
Et pour tout vous dire, après ce premier épisode, j’ai noté que les policiers ne sont pas les connards caricaturaux qu’on aurait pu imaginer, ils ont semblé froids, certes, mais assez professionnels dans un premier temps. La particularité de cette affaire est que les premiers doutes envers cette victime sont exprimés par ses proches. Ce sont ces doutes qui vont changer l’angle de l’enquête. Cela montre bien que la victime ne doit pas convaincre la police uniquement mais tout le monde. Et même un spectateur qui pense être un allié.
Dès le second épisode (et c’est pour ça que je l’ai trouvé parfait), on réalise toutes les erreurs commises. On fait un bond dans le temps, on est dans un autre lieu, on découvre une autre victime et surtout une autre enquêtrice. Karen Duvall rencontre très vite la victime, Amber. Elle trouve un endroit neutre et isolé. Calme et avec une voix douce elle pose les questions parfaites. La victime est calme, en confiance, se sent écoutée et elle peut explorer son drame plus librement. La froideur des enquêteurs masculins saute aux yeux après ce contraste. Avoir poussé Marie à répéter toutes les étapes de son viol encore et encore a participé à créer de la confusion, à planer le doute jusque dans la tête de la victime. La laisser sans accompagnement dans d’autres étapes traumatisantes comme les examens médicaux ont participé à la destruction de cette victime.
Le cas de Lilly, une autre victime qui apparaît plus tard dans la saison, montre quelque chose d’autre de cruel. Pour qu’une affaire soit prise au sérieux, il faut aussi une « bonne » victime. Marie, par sa jeunesse et sa gestion du traumatisme a pu se montrer confuse. Lilly, elle, a une personnalité plus excentrique, sa paranoïa et ses facéties ont fini par détourner un enquêteur qui ne demandait que ça pour passer à autre chose. Amber a fait face à une enquêtrice pleine de compassion, motivée et compétente et, de part son calme pendant le drame, elle a pu apporter beaucoup d’éléments cruciaux à l’enquête. S’il n’y avait pas eu une victime comme Amber, Karen Duvall aurait-elle été aussi efficace ?
Quoiqu’il en soit, on entend souvent dire qu’il faut mieux former les policiers et enquêteurs qui traitent ces affaires de viol. Il semble en effet vital que les victimes puissent être entendues, aidées pour qu’elles affrontent au mieux un tel drame, mais aussi pour qu’on puisse stopper leurs agresseurs…
Une enquête passionnante
L’enquête traitée dans la série est revenue au cœur de l’actualité grâce à deux journalistes de ProPublica, qui ont publié un dossier fascinant sur cette affaire. L’article est toujours disponible sur le site. Bien sûr, il contient des spoilers sur l’enquête.
Devant la fascination autour de cette affaire, les auteurs ont publié un livre, qui a inspiré la série.
https://www.amazon.fr/False-Report-chilling-nobody-believed/dp/1786330806
Car, l’enquête mérite ce genre de publications. Elle semble tirée des meilleurs films et séries du genre. On a tout d’abord un duo d’enquêtrices aux styles différents. Karen Duvall est une catholique pratiquante, douce au quotidien mais exigeante avec son équipe. Grace Rasmussen est une enquêtrice plus expérimentée mais dont le style la rapprocherait des Martin Riggs ou Rust Cohle. Habituée du travail sous couverture, elle est plus radicale, a un langage plus fleuri, elle est déterminée mais aussi blasée par certains aspects de son travail et les faiblesses du système.
Avant cette enquête elles ne travaillaient pas ensemble. Karen mène une enquête de son côté et après avoir pris connaissance d’une information importante, elle va prendre contact avec Grace. Elles vont choisir de partager leurs dossiers, leurs équipes, leurs moyens pour mener l’enquête ensemble. On peut ainsi découvrir le début de leur relation professionnelle, les différences de méthode et leur vision particulière du métier. Ce n’est pas pour rien que les œuvres explorent si souvent ces relations professionnelles parfois chaotiques au début avant qu’un respect mutuel voit le jour.
Sans dévoiler des éléments de l’enquête, disons que le coupable sait profiter des failles du système (je vais évoquer ce point plus en détail après) pour pouvoir commettre de nombreux viols sans être inquiété. Puisque la série évoque l’impact de la série CSI (Les Experts), je vais le faire aussi. La série phare des années 2000 a complètement bouleversé la façon dont la police, la justice, les jurés mais aussi les criminels agissent. Les preuves scientifiques sont devenues capitales. Et en sachant cela, les tueurs ou violeurs savent comment nettoyer leurs traces.
Les enquêtes à base de science, c’est du déjà vu, on ne pouvait donc pas se reposer que sur ça. Heureusement, on a ici un mélange de travail old school avec du labeur manuel, du recoupement d’infos sans informatique, de la réflexion, de la logique, de l’instinct. Mais aussi et bien sûr les évolutions technologiques comme l’informatique qui permet de réduire la liste des suspects ou d’en découvrir de nouveaux, ainsi que la science qui permet d’avoir un maximum de détails sur le tueur, sans avoir (pour le moment) son identité.
La série a deux points de vues principaux : Marie et les enquêtrices. Si la première nous touche avec la gestion de son traumatisme, les enquêtrices nous font vivre une enquête fascinante qui tient parfaitement la durée des huit épisodes que composent la saison.
Les failles d’un système
Sans être un grand spécialiste de toutes ces questions, j’ai une certaine curiosité pour la politique et la justice. Les histoires de serial-killer (ou violeurs en l’occurrence) ne m’attirent pas spécialement, mais la façon dont la police doit rattraper son retard pour les stopper ou la façon dont ces criminels échappent à un système bancal m’intéresse.
(Spoilers assez importants) Cette série montre un problème qui semble présent partout dans le monde : l’opacité de chaque département de la police. Le violeur en série de Unbelievable a trouvé une clé majeure pour échapper à la police. Il commet ses crimes dans un comté différent à chaque fois. La police ne partageant pas ses infos, les enquêteurs ne faisant pas de zèle (ou le minimum du travail, selon le point de vue) en cherchant des correspondances dans le pays, il est facile pour lui de se faire discret. On met forcément moins de moyens pour attraper un violeur occasionnel qu’un violeur en série…Un épisode de la série ajoute aussi une autre couche à ce problème, les dossiers sont mal remplis. Des éléments clés de l’affaire comme le fait d’attacher les victimes, de les faire se doucher ne sont pas évoqués dans les fichiers informatiques. Il faut donc piocher dans des milliers de dossiers en espérant trouver une correspondance. Un travail titanesque qui profite aux criminels et qui peut facilement décourager les enquêteurs usés…
(Spoilers mineurs) Un autre évènement, moins important dans la série, est évoqué dans le cas de Marie. Après avoir rétractée ses déclarations, Marie est accusée de fausse déclaration et pour éviter la prison elle fait ce qu’on appelle un plea deal. C’est un accord entre l’accusé et les procureurs qui permet d’éviter un procès, l’accusé a une peine réduite et on évite ainsi des dépenses inutiles. Ce système de plea deal revient souvent dans les documentaires ou séries policières américaines car c’est l’origine de nombre d’enquêtes bâclées. Fatiguée de devoir se justifier et isolée, Marie veut en finir avec cette affaire, elle accepte donc un accord où elle plaide coupable de fausse déclaration, elle doit payer une amende de 500$ mais évite ainsi un procès et le risque d’aller en prison. La machine judiciaire écrase souvent les accusés avec des menaces de lourdes peines si on décide d’aller jusqu’au procès. De nombreux innocents aux États-Unis se résignent à plaider coupable pour « s’assurer » d’avoir une peine plus réduite plutôt que d’affronter un juge et des jurés hostiles qui pourront alourdir leur peine. Rien ne dit que Marie aurait pu réussir à convaincre quelqu’un de rouvrir son enquête si elle était allée dans un tribunal, mais ce n’est pas anodin que ce concept de plea deal apparaisse aussi régulièrement dans ces programmes.
En plus d’être une série réussie, Unbelievable propose une lecture à froid très intéressante de la façon dont les victimes et les affaires criminelles sont traitées par la police ou la justice. Je ne pense pas qu’elle aidera les victimes à s’exprimer malheureusement, mais elle permettra peut-être aux autres d’ouvrir les yeux sur ces problèmes.
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