📰 ActualitĂ© et politique française

le groupe vit bien :hoho:

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On est sur une premiĂšre semaine catastrophique lĂ .

Il est vraiment là par défaut.

La confusion est catastrophique mais c’est vrai qu’il est d’usage que l’un des deux reste toujours en mĂ©tropole (et pas « en France » comme il le dit trĂšs mal)

Il est lĂ  parcequ’il a mis fait du chantage Ă  Macron (qui lui faisait miroiter plein de trucs depuis 7 ans), c’est mĂȘme pas un choix par dĂ©faut

Oui je pense aussi qu’il n’a pas juste pas utilisĂ© le bon mot mais que sa phrase ne partait pas d’une mauvaise intention.

https://x.com/reunionla1ere/status/1869694895423639553?s=46

60 000 ???

Elles valent quoi ces sources ?

Car avant hier j’ai lu 12 morts, peut ĂȘtre 100 envisagĂ©s mais passer Ă  60000 ça me paraĂźt Ă©norme ?

12 morts c’est ceux qui ont Ă©tĂ© comptĂ© dans les hĂŽpitaux.
Quand tu vois l’état actuel des bidonvilles et en connaissant le nombre de personnes Ă  l’intĂ©rieur


Le nombre réel de morts risque de faire trÚs peur.

De ce que j’ai lu / entendu, c’est qu’il y a eu des inhumations « sauvage Â» des cadavres sans identification ni rien. On trouvait un cadavre, hop, sous terre et on passe au suivant. Impossible de compter dans ces conditions.

Oui pour ça que j’ai postĂ© ici.

Post supprimĂ©, on espĂšre Ă©videmment que c’était faux.

C’est assez simple le total officiel est celui de Mamoudzou recensĂ© Ă  l’hopital. 98% c’est des sans papier musulman. J’ai une collĂ©gue sur place et c’est un enfer visiblement. Elle a passĂ© le debut de la semaine Ă  enterrer, brĂ»lĂ©, rejeter Ă  la mer des corps.

Et ils ont a peine commencé à explorer la zone bidonvilles.

Sur place ils estiment large entre 20k et 200k de morts. Mais ce sera trùs dur d’avoir un vrai chiffre.

La source : Mon boulot, je bosse directement pour le CH de Mayotte. C’est horrrible. Et on ne parle mĂȘme pas encore de l’aprĂšs.

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WTF

C’est possible et lĂ©gal ça ?

frĂšre y’a des morts partout. Ma collĂ©gue son hĂŽtel a Ă©tĂ© rasĂ©. Elle s’en est sorti uniquement car elle travaillait tard Ă  l’hopital. Le lendemain ils sont sorti pour voir les dĂ©gats en allant chercher les chirurgiens et traumatologue dans leurs « maisons Â» apparemment y’avais des morts partout. Ils ont juste fait ce qu’ils pouvaient lĂ©gal ou pas.

Le but pour eux c’est juste d’aider les survivants et tenter d’éviter que le peu de ressources qu’il y a soit contaminer par les corps des morts.

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Absolument pas, mais la lĂ©gislation funĂ©raire n’est pas du tout en corrĂ©lation avec ce genres d’évĂ©nements.

En thĂ©orie t’as un mĂ©decin quoi doit certifier la mort, puis dans les 24h que la mort soit dĂ©clarĂ©e dans la mairie du lieu de dĂ©cĂšs, l’opĂ©rateur funĂ©raire doit obtenir le pouvoir de la famille, puis t’as Ă  nouveau Ă  retourner en mairie pour toutes les autorisations (transport, mise en biĂšre, fermeture, inhumation, crĂ©mation).
Et tout ça dans un dĂ©lai de 14j. Autant dire que ça sera pas possible la


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https://x.com/alexandrehory/status/1869703985491501516?s=46

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Y a plus de mots


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Pour balance ce genre de saloperie aux mĂ©dias c’est vraiment que mĂȘme dans le cercle proche (privĂ©e ou collab) on veut sa tĂȘte c’est fou :hoho:

Comme si Macron se rendait Ă  l’hĂŽpital :hoho: (pour autre chose que passer Ă  la tĂ©lĂ© en disant aux soignants qu’il les comprend bien sĂ»r)

Emmanuel Macron, une certaine idée du pouvoir

Alors que la dĂ©cision d’Emmanuel Macron de dissoudre l’AssemblĂ©e nationale a provoquĂ© une crise politique majeure, « Le Monde » revient dans une sĂ©rie d’articles sur l’évolution dĂ©routante du chef de l’Etat.

L'article

Le 16 novembre 2016, un couple, lunettes de soleil et pantalon en cuir pour elle, costume noir cintrĂ© et fine cravate assortie pour lui, se glisse incognito sous le portail central et les voussures de la basilique de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Juste aprĂšs s’ĂȘtre dĂ©clarĂ© candidat Ă  l’élection prĂ©sidentielle, Ă  Bobigny, Emmanuel Macron et son Ă©pouse, Brigitte, ont filĂ© Ă  quelques kilomĂštres de lĂ , sans prĂ©venir personne, saluer les tombeaux des 43 rois de France. Sous la lumiĂšre d’hiver filtrĂ©e par la rosace du bras sud, le futur prĂ©sident caresse le marbre blanc des gisants.

A chaque prise de pouvoir sa scĂšne originelle. Saint-Denis est le creuset du passĂ© royal du pays, le lieu par excellence du rĂ©cit national. D’autres candidats Ă  la prĂ©sidentielle, amoureux de l’histoire longue, ont d’ailleurs prĂ©cĂ©dĂ© Emmanuel Macron pour puiser un morceau de lĂ©gitimitĂ© dans ce pĂŽle magnĂ©tique des ambitions monarchiques : François Mitterrand avec la mĂšre de Mazarine, Anne Pingeot, Ă  l’automne 1980 ; Jean-Luc MĂ©lenchon, en douce, en 2012
 Ce jour de novembre 2016, les journalistes et l’écrivain embedded Philippe Besson, alors attelĂ© Ă  l’écriture de son livre Un personnage de roman (Julliard, 2017), ont ratĂ© l’escapade d’Emmanuel Macron. Mais, sur le chemin du retour, le candidat confie Ă  son premier admirateur, le journaliste-blogueur Bruno Roger-Petit, le sens de cette visite Ă  Saint-Denis : au milieu des « pierres qui parlent », se retrouver « seul en son destin ».

Une part de mystique doit envelopper les grands parcours, a toujours pensĂ© Emmanuel Macron. « Depuis que je suis entrĂ© dans le champ politique, je vis mon aventure comme une mission. Il y a (
) quelque chose qui vous dĂ©passe, qui vous a prĂ©cĂ©dĂ© et qui restera. » Sur les images enregistrĂ©es en 2016 au Touquet (Pas-de-Calais) par le rĂ©alisateur Pierre Hurel pour son documentaire Ainsi soit Macron (2017), c’est un jeune homme au regard habitĂ© qui parle. Cette mĂȘme annĂ©e 2016, il a aussi fait des pieds et des mains auprĂšs du sĂ©nateur Ă©cologiste des Hauts-de-Seine AndrĂ© Gattolin pour rencontrer le dalaĂŻ-lama Ă  Paris, et patientĂ© deux heures durant dans le hall de l’HĂŽtel Intercontinental, oĂč Ă©tait logĂ© le chef spirituel des bouddhistes du Tibet. « La rencontre la plus importante de ma vie aprĂšs Brigitte », l’a entendu dire le sĂ©nateur.

« La fonction prĂ©sidentielle rĂ©clame de l’esthĂ©tisme et de la transcendance », disait aussi Emmanuel Macron durant sa premiĂšre campagne. Aujourd’hui encore, dĂšs que l’occasion se prĂ©sente, il fait rĂ©fĂ©rence Ă  la longue chaĂźne de ceux qui ont gouvernĂ© la France avant lui. Le 7 dĂ©cembre, dans la nef de Notre-Dame sublimement restaurĂ©e et devant les grands de la planĂšte, il a rappelĂ© que « 11 rois », de Saint Louis Ă  Louis XIV, avaient vu construire la cathĂ©drale. L’espace d’un aprĂšs-midi historique, les Français ont presque oubliĂ© que, ce jour-lĂ , ils n’avaient plus de premier ministre, et que le pays Ă©tait plongĂ© dans une crise noire.

Depuis 2017, un mandat et demi, les catastrophes ont Ă©tĂ© nombreuses : la pandĂ©mie de Covid-19, le terrorisme islamiste, la guerre dans l’est de l’Europe, le tsunami des populismes et de la post-vĂ©ritĂ©, cette arme de destruction massive dĂ©sormais partagĂ©e par les dirigeants autoritaires, de Washington Ă  Moscou
 C’est pourtant bien le choix brutal d’Emmanuel Macron de dissoudre l’AssemblĂ©e nationale, le 9 juin, qui a provoquĂ© ce chaos inĂ©dit depuis 1962, et qui menace de virer Ă  la crise de rĂ©gime. Pourquoi cette folie ? Depuis l’étĂ©, Ă©ditorialistes et politologues s’improvisent psychanalystes. Tant de dĂ©cisions imprĂ©visibles, tant de propos indĂ©chiffrables chez le chef de l’Etat


Surgi Ă  39 ans en vantant le « nouveau monde » et la « start-up nation », le plus jeune prĂ©sident de la Ve RĂ©publique s’est savamment lestĂ© d’histoire et de sacrĂ©. Mais comme dirait Borges, « dans chaque homme, il y a toujours deux hommes » et le plus vrai est parfois l’autre. Il y a le Macron vif, ultrarapide, hypermnĂ©sique, qui rĂ©ussit avec brio la reconstruction de Notre-Dame, le dĂ©confinement aprĂšs le Covid-19, fait reculer le chĂŽmage, lance l’emprunt europĂ©en. Et le Macron impulsif, orgueilleux, narcissique, prĂȘt Ă  s’exonĂ©rer des usages et des institutions et persuadĂ© de pouvoir accomplir par lui-mĂȘme des miracles, avant de se cogner au rĂ©el. Le Macron en majestĂ© et celui que l’on connaĂźt moins, soucieux de protĂ©ger ses secrets et de dĂ©cider seul, en sa forteresse de l’ElysĂ©e. Le prĂ©sident et son « autre ».

Sur ses tempes, les pattes ont blanchi. Des rides sont apparues. MĂȘme son corps s’est transformĂ©. Jusque-lĂ , il apparaissait dans sa fraĂźcheur juvĂ©nile. Il cultive dĂ©sormais l’image de sa puissance. Sa photographe officielle, Soazig de la MoissonniĂšre, poste sur les rĂ©seaux les clichĂ©s musculeux d’un prĂ©sident concentrĂ© sur son punching-ball, biceps travaillĂ©s des heures durant dans la salle de boxe de l’ElysĂ©e, jusqu’à l’épuisement. Il cogne, pour se dĂ©fouler, puis retourne travailler, sans que nul ne connaisse l’exact emploi du temps de sa journĂ©e. C’est une anomalie dans les dĂ©mocraties, cet agenda officiel du prĂ©sident qui n’est plus publiĂ© Ă  l’avance, contrairement Ă  l’usage. Impossible, dans ces conditions, de savoir avec certitude qui le chef de l’Etat s’apprĂȘte Ă  recevoir, ni mĂȘme oĂč il se trouve. Sur le site de l’ElysĂ©e s’affiche souvent la mĂȘme formule : « L’agenda du prĂ©sident est en cours de mise Ă  jour. »

DerriĂšre les grilles du palais, une Ă©trange atmosphĂšre s’est installĂ©e. Tout s’est fait petit Ă  petit. D’abord, la bande des dĂ©buts, celle qui avait Ă©clos au Parti socialiste et transformĂ© l’essai d’En marche ! en hold-up Ă©lectoral, s’en est allĂ©e. Ce n’est pas un dĂ©tail : les « mormons », comme on appelait alors cette bande soudĂ©e et un brin austĂšre, pouvaient dire en face Ă  leur chef de file : « Franchement, tu dĂ©connes. » Depuis, IsmaĂ«l Emelien a Ă©tĂ© recrutĂ© par le groupe LVMH, avant de crĂ©er une start-up offrant aux plus fortunĂ©s parcours de soins et check-up complets dĂšs 18 ans. Sibeth Ndiaye est secrĂ©taire gĂ©nĂ©rale du groupe Adecco, le leader de l’intĂ©rim. Sylvain Fort, lui, est aujourd’hui « conseiller musĂ©al » du prince hĂ©ritier des Emirats arabes unis, Ă  DubaĂŻ.

Du Macron des origines, seul ou presque demeure Alexis Kohler, le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de l’ElysĂ©e, autour duquel s’affaire une Ă©quipe d’impeccables conseillers issus de la haute administration, professionnels, bosseurs, chargĂ©s de prĂ©parer les dossiers du prĂ©sident, dans une organisation au cordeau. VoilĂ  dix ans qu’il accompagne le prĂ©sident et joue le rĂŽle d’un partenaire. Longtemps, on l’a surnommĂ© « le jumeau », « la doublure », « l’alter ego ».

DerriĂšre l’allure de « techno » froid, Alexis Kohler fait aussi de la politique. Certains se souviennent que, en pleine crise des « gilets jaunes », il s’était opposĂ© Ă  Emmanuel Macron, l’empĂȘchant d’augmenter le smic pour rehausser plutĂŽt la prime d’activitĂ©. RĂ©guliĂšrement, la presse annonce Alexis Kohler partant, mais il est toujours lĂ , dans ce palais qui se vide peu Ă  peu, la lumiĂšre de son bureau allumĂ©e jusqu’à point d’heure. « Il a encore besoin de moi », glisse-t-il en octobre Ă  un confident. Pourtant, pour la premiĂšre fois, avec la dissolution, il a doutĂ©. Lui qui accueille d’ordinaire avec sang-froid et un humour pince-sans-rire les audaces du chef de l’Etat s’est inquiĂ©tĂ©. « Il a perdu pied », l’ont entendu soupirer plusieurs tĂ©moins.

Alexis Kohler se mĂ©fie plus que jamais d’un autre groupe de conseillers, une petite bande aux allures de « boys club » bĂ©ni-oui-oui, dont l’obsession est de limiter l’accĂšs au prĂ©sident et qui parfois lui nuisent : ils fourbissent des coups, rĂšglent des comptes avec leurs rivaux de l’ElysĂ©e et en oublient parfois d’expliquer sa politique. Parmi eux, le « conseiller spĂ©cial » Jonathan GuĂ©mas, ex-plume dĂ©sormais chargĂ© « de la communication et de la stratĂ©gie » du prĂ©sident, ou son prĂ©dĂ©cesseur et ami ClĂ©ment LĂ©onarduzzi, reparti chez Publicis, mais jamais loin de l’ElysĂ©e. Leur mission ? Construire « le rĂ©cit du dĂ©cennat », rĂ©sume Jonathan GuĂ©mas ; c’est la feuille de route dĂ©livrĂ©e par le chef de l’Etat. Venus de la publicitĂ© ou de la communication d’entreprise, ils ont bien plus d’influence que leurs deux collĂšgues chargĂ©s de la politique et du Parlement.

Avant Emmanuel Macron, les prĂ©sidents Ă©lus arrivaient Ă  l’ElysĂ©e avec des compagnons de route qui les connaissaient par cƓur et savaient donner de la chair Ă  l’épopĂ©e prĂ©sidentielle. Eux enchaĂźnent les formules, mais, depuis la dissolution, celles-ci sonnent particuliĂšrement creux. Dans son bureau, oĂč il reçoit la presse pour parler du patron, le normalien Jonathan GuĂ©mas cite les philosophes JĂŒrgen Habermas et Denis Diderot, disserte sur le « tapis affectif » qui manquerait Ă  Emmanuel Macron et lĂąche comme un scoop : « Sa fleur prĂ©fĂ©rĂ©e est la saxifrage, qui se fraie un chemin dans la fissure du rocher. » Sur le dĂ©sordre actuel, ces conseillers ont rodĂ© un discours tout prĂȘt : la dissolution de juin a ouvert « l’an I de l’ùre d’une culture de coalition Ă  la française ».

Pilier de ce petit groupe oĂč les filles n’ont pas leur place – ou si peu –, l’ex-journaliste Bruno Roger-Petit, sourire blasĂ©, dĂ©marche flegmatique, est devenu, au fil des ans, l’un des visages de l’ElysĂ©e. Premier arrivĂ© en 2017 ou presque, il a promis Ă  Emmanuel Macron d’inscrire sa geste dans la mĂ©moire nationale comme Mitterrand et rĂȘve d’écrire un livre dont le titre serait C’était Macron, en rĂ©fĂ©rence au C’était de Gaulle (Fayard, 1994-2000), d’Alain Peyrefitte. « Je serai celui qui Ă©teindra la lumiĂšre », prĂ©vient-il autour de lui – certains y entendent une menace. A l’ElysĂ©e, ses ennemis le surnomment « Tullius DĂ©tritus », le sinistre semeur de zizanie dans la BD AstĂ©rix et ObĂ©lix.

C’est Bruno Roger-Petit qui a prĂ©sentĂ© au prĂ©sident son copain Geoffroy Lejeune, l’ancien directeur de la rĂ©daction de Valeurs actuelles, devenu celui du Journal du dimanche de BollorĂ©. Lui, aussi, qui a dĂ©jeunĂ© en secret avec Marion MarĂ©chal, dans une salle Ă  manger du DĂŽme, une brasserie du quartier de Montparnasse, Ă  Paris. Lui, encore, qui a annoncĂ© avant tout le monde la dissolution surprise Ă  la vedette de la chaĂźne CNews, Pascal Praud. Lui qui a comparĂ© cette dĂ©cision Ă  « la FĂȘte de la FĂ©dĂ©ration de 1790 », sous Louis XVI. Cet Ă©tĂ©, il a connu plusieurs semaines de disgrĂące. « Je vais le virer », a promis Emmanuel Macron Ă  quelques intimes. Le temps passe. Et Alexis Kohler s’étonne en petit comitĂ© : « on lui a coupĂ© l’eau et l’électricitĂ©, mais il est toujours lĂ  ».

Le « boys club » a installĂ© au palais une atmosphĂšre de chambrĂ©e. Avec eux, on est loin du sacrĂ© et de la transcendance
 Le soir venu, le prĂ©sident les retrouve pour se distraire aprĂšs des journĂ©es harassantes. « Petit pĂ©dĂ© », « grande tarlouze »  VoilĂ  comment ils se parlent, par textos ou autour de leurs whiskys japonais ou Ă©cossais – le favori du prĂ©sident est le Lagavulin 16 ans d’ñge –, entre deux imitations d’acteurs des annĂ©es 1960 et de citations de Michel Audiard. Du « 15 000 e degrĂ© », explique Jonathan GuĂ©mas, embarrassĂ©. Ils ont quelques cibles prĂ©fĂ©rĂ©es. Conseiller de Gabriel Attal quand il Ă©tait premier ministre, Louis Jublin assure que l’ElysĂ©e avait baptisĂ© Matignon « la cage aux folles ».

Depuis plusieurs mois, des chiraquiens et des sarkozystes de la premiĂšre heure, Pierre Charon ou Thierry SolĂšre, passent dĂźner Ă  l’ElysĂ©e, souvent aprĂšs une remise de dĂ©coration. Ils ont de solides silhouettes d’amateurs de cuisine canaille et toujours une bonne anecdote au coin des lĂšvres. Au prĂ©sident, ils racontent ces histoires de la « Ve » que les petits jeunes en costume slim ne connaissent pas. A son tour, Pierre Charon a prĂ©sentĂ© l’acteur Christian Clavier au chef de l’Etat. Encore des dĂźners oĂč les convives rejouent les films de Jean-Marie PoirĂ©. « Comment s’appelait dĂ©jĂ  le gĂ©nĂ©ral russe dans Twist again Ă  Moscou ? » « Boris Illitch Pikov ! », rĂ©pond en premier Emmanuel Macron. « Bravo ! », applaudit la petite assemblĂ©e. Autour du chef de l’Etat, l’esprit de cour perdure.

« Les gens rampent sans mĂȘme que je leur demande et ensuite je passe pour un dictateur ! », s’est amusĂ© un jour le prĂ©sident de la RĂ©publique devant StĂ©phane Bern, nommĂ© en 2017 Ă  la tĂȘte de la mission « Patrimoine en pĂ©ril » et commentateur attitrĂ© des cĂ©rĂ©monies majeures du rĂšgne – le 7 dĂ©cembre, Ă  Notre-Dame, c’était lui. Cet amoureux des princes et des monarques lui a racontĂ© la cour au temps du Roi-Soleil. Rien de bien diffĂ©rent, au fond, de ces ministres trĂšs politiques qui, pour parvenir Ă  leurs fins, commencent leurs laĂŻus par « Monsieur le prĂ©sident, vous avez eu raison de dĂ©cider comme ci
 », ou : « Monsieur le PrĂ©sident, vous n’avez pas eu tort, finalement, de croire que
 »

Autres formes d’allĂ©geance, les postures, les poses, les gestes, mĂȘme quand le « roi » perd de sa superbe. Lors des dĂźners officiels, les convives n’osent pas protester lorsque Emmanuel Macron passe derriĂšre eux, masse les Ă©paules de l’un, attrape la nuque de l’autre – lui qui dĂ©teste qu’on le touche.

L’attention portĂ©e aux chiens du palais reste un autre indice du degrĂ© de courtisanerie des uns et des autres. Il y a quelques semaines, au milieu des labradors et des lĂ©vriers tazi, un invitĂ© de passage a ainsi assistĂ©, mĂ©dusĂ©, Ă  cette scĂšne qu’aurait pu croquer Saint-Simon Ă  Versailles : Bruno Roger-Petit jouant Ă  quatre pattes avec l’un des chiens dans un salon de l’ElysĂ©e. Pour dĂ©crire ces savants ballets, le directeur de cabinet d’Elisabeth Borne puis ministre de la santĂ© AurĂ©lien Rousseau parlait en riant de « proskynĂšse » – un rituel de prosternation de la Rome antique destinĂ© Ă  s’assurer les faveurs de l’empereur, le « rĂ©gent de Dieu ».

Au fil des ans, la cour connaĂźt son lot de dĂ©faveurs. Mais rien ne se dit jamais en face. La marque d’Emmanuel Macron est de gĂ©rer les disgrĂąces par le silence. Il n’expulse pas, il efface, il « ghoste ». Jean-Pierre Jouyet, par exemple, l’un de ses parrains Ă  l’inspection des finances. Sous François Hollande, ce dernier avait insistĂ© pour que le jeune Macron devienne secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral adjoint de l’ElysĂ©e. Mais, du jour au lendemain, une fois nommĂ© ambassadeur de France Ă  Londres, plus un appel, plus un message, aucune rĂ©ponse Ă  ses mails et textos. En 2018, profitant de la prĂ©paration d’un sommet franco-britannique, il finit par s’en ouvrir Ă  l’intĂ©ressĂ© :

« Emmanuel, je t’ai envoyĂ© des messages

− T’es sĂ»r ?
− Oui, et des mails
 »

Emmanuel Macron assure n’avoir rien reçu. Jouyet est blessĂ©. Le directeur de la rĂ©daction du Point, Etienne Gernelle, a connu pareille disgrĂące. Le journaliste avait nouĂ© depuis une vingtaine d’annĂ©es un lien Ă©troit avec Emmanuel Macron, dans la tradition de son maĂźtre Franz-Olivier Giesbert, confesseur de Mitterrand et de Chirac. La Rotonde ou La Cagouille, des restaurants du quartier de Montparnasse, accueillaient leurs repas arrosĂ©s au pinot noir. Rires, confidences, bons mots, rĂ©flexions sur le monde et mĂ©chancetĂ©s en tout genre, Gernelle remplit ses carnets. Mais un jour de fĂ©vrier 2019, alors que le prĂ©sident a confiĂ© son souhait d’imaginer des procĂ©dures de « vĂ©rification de l’information » dans les mĂ©dias, le directeur de l’hebdomadaire libĂ©ral Ă©trille cette idĂ©e « orwellienne » dans un Ă©dito au scalpel : « Macron ou la tentation de la Pravda ». Au palais, le couperet tombe : l’impudent est privĂ© de dĂ©jeuners.

Depuis quelques mois, petites punitions et grosses humiliations se multiplient. AprĂšs les Ă©lections lĂ©gislatives du 30 juin et du 7 juillet, l’ElysĂ©e envoie une « lettre circulaire Ă  tous les dĂ©putĂ©s qui se sont dĂ©sistĂ©s » face aux candidats d’extrĂȘme droite. Curieusement, l’ex-dĂ©putĂ© et prĂ©sident du groupe En marche ! Gilles Le Gendre en est destinataire. Pourtant, le chef de l’Etat, qui n’avait pas apprĂ©ciĂ© ses critiques, ne l’a pas investi, et il a dĂ» laisser la place Ă  un protĂ©gĂ© de la maire du 7e arrondissement de Paris, Rachida Dati. Au feutre, Macron a rajoutĂ© : « Mon cher Gilles, en toute amitiĂ©. »

Emmanuel Macron sait comment rabaisser et mortifier. « Que penses-tu de Julien Denormandie ou de Gabriel Attal ? », demandait-il, en dĂ©but d’annĂ©e, Ă  sa premiĂšre ministre Elisabeth Borne, Ă  peine dĂ©mise de ses fonctions. En septembre, c’est Ă  Gabriel Attal, nommĂ© puis soigneusement tenu Ă  l’écart de la dissolution, qu’il suggĂšre de se trouver un successeur : « Ça t’ennuierait de recevoir Xavier Bertrand et Bernard Cazeneuve, pour me donner ton avis ? » Pour son dĂ©part, il offre Ă  ce mĂȘme Gabriel Attal l’album photo de ses six mois au ministĂšre de l’éducation et de son passage Ă  Matignon. A l’intĂ©rieur, un clichĂ© saisi le 9 juin par sa photographe officielle : celui oĂč le prĂ©sident annonce la dissolution Ă  ses troupes, convoquĂ©es Ă  l’ElysĂ©e. On y voit Gabriel Attal, bras croisĂ©s, Ɠil noir plongĂ© dans celui d’Emmanuel Macron, encaisser la dĂ©cision qui le chasse de fait de Matignon. Cruel cadeau.

Ce jour de la dissolution, l’autre Macron apparaĂźt en pleine lumiĂšre. Le prĂ©sident met en rage ses plus solides soutiens. Pris de court comme tout le monde, alors qu’il a dĂźnĂ© la veille avec le chef de l’Etat, le patron du groupe de luxe LVMH, Bernard Arnault, est si furieux qu’il dĂ©croche son tĂ©lĂ©phone. L’homme d’affaires et essayiste Alain Minc se met Ă  courir les plateaux pour expliquer qu’Emmanuel Macron est victime d’une « griserie autosuffisante » et qu’il « ne s’entoure que de mĂ©diocres, car il faut qu’il n’y ait qu’un seul Soleil dans la piĂšce » 

Ces nouvelles colĂšres viennent s’ajouter Ă  de plus vieilles rancƓurs. Des projets de vengeance s’ourdissent ici et lĂ . La veuve de l’ancien maire de Lyon GĂ©rard Collomb songe ainsi Ă  Ă©crire un livre. Le 29 novembre 2023, lors de l’enterrement de son mari dans la cathĂ©drale Saint-Jean, Ă  Lyon, elle avait dĂ©jĂ  donnĂ© un indice de la tonalitĂ© de son futur opus. Sous le regard gĂȘnĂ© des participants, Caroline Collomb avait refusĂ© de se lever et de serrer la main d’Emmanuel Macron.

Premier des « marcheurs », le socialiste GĂ©rard Collomb avait tout donnĂ© Ă  Emmanuel Macron : sa bĂ©nĂ©diction, son crĂ©dit, des parrainages par dizaines. Pas plus que son mari, Caroline Collomb n’a supportĂ© qu’un prĂ©sident clamant haut et fort qu’il lui « [devait] tout » le laisse moquer par ses troupes : dans son dos, certains, Ă  l’ElysĂ©e, le surnommaient « Son Altesse sĂ©nilissime ». Un an Ă  peine aprĂšs son arrivĂ©e Place Beauvau, GĂ©rard Collomb dĂ©missionne, mais lĂąche, avant de quitter Paris, quelques vĂ©ritĂ©s bien senties Ă  propos d’Emmanuel Macron : « Ce type se prend pour un seigneur. C’est ça, le problĂšme de fond. Nous ne sommes pas nombreux Ă  pouvoir encore lui parler. » L’agrĂ©gĂ© de lettres classiques avait ajoutĂ© : « En grec, il y a un mot qui s’appelle “hubris*”»*, l’orgueil, la dĂ©mesure. « C’est la malĂ©diction des dieux. (
) Les dieux aveuglent ceux qu’ils veulent perdre. »

D’un coup, en ce dĂ©but d’hiver, la prophĂ©tie de GĂ©rard Collomb prend corps. Alors que la fin de son mandat approche – 2027 au plus tard –, deux spĂ©cialistes des prĂ©sidents de la Vᔉ RĂ©publique, la journaliste Catherine Nay et l’historien Eric Roussel, de l’AcadĂ©mie des sciences morales et politiques, biographe prolifique de Charles de Gaulle, Pierre MendĂšs France, Georges Pompidou, Jean Monnet, François Mitterrand, ValĂ©ry Giscard d’Estaing, se sont mis au travail. Tout a Ă©tĂ© si vite, tout s’est si brusquement retournĂ©.

Devant l’ElysĂ©e, d’énormes barriĂšres de police barrent encore et toujours la circulation de la rue du Faubourg-Saint-HonorĂ©. A l’hiver 2018, les « gilets jaunes » avaient failli « prendre » le palais. Un des traumatismes du premier quinquennat. Au dos de leurs chasubles fluo, ils affichaient leurs dolĂ©ances sur la vie chĂšre, le smic, l’ISF, et des portraits d’Emmanuel et Brigitte Macron, avec ces slogans : « Mort au Roi »  « Louis XVI, on l’a dĂ©capitĂ©. Avec Macron, on peut recommencer »  « La France des ronds-points » a gardĂ© en tĂȘte les rĂ©fĂ©rences monarchiques distillĂ©es au dĂ©but de son premier mandat, mais, Ă  chaque occasion, elle les retourne contre lui. De l’imagerie royale, les mĂ©contents ont gardĂ© le symbole de la guillotine, pas le cĂ©rĂ©monial du sacre.

Il est dĂ©sormais l’un des prĂ©sidents les plus impopulaires de la Vᔉ RĂ©publique depuis Chirac et les grandes grĂšves de 1995. Dans les sondages et les enquĂȘtes qualitatives, l’ElysĂ©e dĂ©couvre depuis la dissolution qu’Emmanuel Macron est jugĂ© « insaisissable », « imprĂ©visible », et donc « dangereux ». AnxiogĂšne. Face Ă  ce dĂ©samour, le chef de l’Etat s’isole, de plus en plus secret. Il s’enferme, il verrouille. MĂȘme Alexis Kohler et Brigitte Macron s’en inquiĂštent. « Il n’écoute plus personne », a confiĂ© ces derniĂšres semaines son Ă©pouse Ă  plusieurs interlocuteurs.

Le dĂ©ni est entier. La dissolution ? Un jour, on verra que c’était un coup de maĂźtre, s’entĂȘte Emmanuel Macron. Ceux de son camp qui ont ralliĂ© le gouvernement Barnier ? « Des drĂŽles. » Sa responsabilitĂ© dans la chute du premier ministre, trois mois aprĂšs sa nomination ? Nulle. Une dĂ©mission ? En mars 2019, en recevant huit heures durant plusieurs dizaines d’intellectuels français, Emmanuel Macron avait brillamment dissertĂ© sur les crises dĂ©mocratiques et les circonstances dans lesquelles, selon lui, un prĂ©sident de la RĂ©publique doit s’en aller : « Il ne devrait pas pouvoir rester s’il avait un vrai dĂ©saveu en termes de majoritĂ©, en tout cas c’est l’idĂ©e que je m’en fais. »

A ce moment-lĂ , Ă  l’ElysĂ©e, c’était le Macron en reprĂ©sentation, magistral, philosophe, tout en majestĂ©. L’autre Macron n’a pas utilisĂ© les mĂȘmes mots, le 3 dĂ©cembre, veille de la censure du gouvernement. La poignĂ©e de journalistes appelĂ©e Ă  suivre son voyage officiel en Arabie saoudite l’interroge, hors micros et camĂ©ras, sur la crise politique française. Il perd son calme – une exception chez lui, tout en maĂźtrise –, se redresse et, doigt levĂ©, coudes sur les genoux, s’énerve : « Ceux qui rĂ©clament ma dĂ©mission sont “la proie des idĂ©es fixes” ! » – les victimes de leurs propres obsessions. Cette fois, le double du prĂ©sident est allĂ© chercher sa rĂ©plique chez Raoul Volfoni, le truand fort en gueule des Tontons flingueurs.

Emmanuel Macron, le double état permanent

« LibĂ©ral », « rĂ©formiste », « patriote », « progressiste », « un cĂŽtĂ© un peu autoritaire », avec un « ethos de droite »  Depuis son entrĂ©e en politique, le chef de l’Etat entretient le flou sur ses convictions idĂ©ologiques.

L'article

« Je suis socialiste. » Emmanuel Macron a 36 ans et vient d’ĂȘtre nommĂ© Ă  Bercy. Face Ă  un parterre de start-upeurs et de patrons de grands groupes, jeudi 4 dĂ©cembre 2014, il dĂ©plie un papier oĂč il a recopiĂ© une citation de Jean JaurĂšs publiĂ©e dans La DĂ©pĂȘche en 1887 : « Toute politique de caste et d’égoĂŻsme doit disparaĂźtre. » « Moi, je suis socialiste et je l’assume », insiste ensuite l’artisan des crĂ©dits d’impĂŽt pour les entreprises, ces mesures qui ont marquĂ© le tournant libĂ©ral du quinquennat de François Hollande. Deux ans plus tard, en aoĂ»t 2016, le voilĂ  invitĂ© au Puy-du-Fou (VendĂ©e), oĂč Philippe de Villiers lui vante le succĂšs de son parc Ă  thĂšme. Aux cĂŽtĂ©s du hĂ©raut de la droite ultracatholique, le ministre de l’économie confesse cette fois : « L’honnĂȘtetĂ© m’oblige Ă  vous dire que je ne suis pas socialiste. »

Les mots ont-ils de l’importance pour Emmanuel Macron ? En politique, pas forcĂ©ment. En tout cas, il les a tous prononcĂ©s. « LibĂ©ral », « rĂ©formiste », « patriote », « progressiste », « un cĂŽtĂ© un peu autoritaire », avec un « ethos de droite »  jusqu’à faire de l’ensemble un slogan : « En mĂȘme temps. »

Emmanuel Macron jurait de balayer l’ancien monde mais depuis la dissolution, il a choisi pour Matignon Michel Barnier, figure de la droite europĂ©enne et conservatrice, et le dĂ©mocrate-chrĂ©tien François Bayrou, trois fois candidat Ă  la prĂ©sidentielle : 73 ans tous les deux. En sept ans, le « En mĂȘme temps » qui promettait de prendre Ă  la fois le meilleur de la gauche et de la droite s’est muĂ© en un « tout et son contraire » qui fait aujourd’hui tourner la tĂȘte des Français.

Sa volontĂ© de ne jamais s’arrimer remonte Ă  loin. Enfant dĂ©jĂ , il semble Ă©chapper Ă  ses parents. En tout cas, c’est ainsi qu’il se raconte, comme s’il dĂ©cidait dĂ©jĂ  tout tout seul. A François Bayrou, il a expliquĂ© qu’il avait choisi « Ă  5 ans » de vivre avec sa grand-mĂšre. A 12 ans, alors que ses parents, agnostiques, ne l’ont pas baptisĂ©, il entre dans une Ă©glise et demande Ă  un prĂȘtre le premier sacrement. Il rompt ensuite avec sa classe d’ñge en frĂ©quentant Brigitte Trogneux, son grand amour, professeure de vingt-quatre ans son aĂźnĂ©e, qu’il a rencontrĂ©e Ă  14 ans par ses filles. Il disait : « Je ne veux pas d’une vie comme les autres », a confiĂ© rĂ©cemment l’une d’elles, Laurence AuziĂšre, Ă  LibĂ©ration. On lui connaĂźt peu d’amis de son Ăąge, ceux auxquels on se compare en partageant les Ă©vĂ©nements qui fondent une gĂ©nĂ©ration. Il adopte la famille Trogneux et Ă©clipse longtemps ses parents de sa lĂ©gende.

Reprenons les choses en dĂ©tail. En 1998, il a 20 ans. Comme souvent Ă  cet Ăąge, il hĂ©site, balance, se cherche. Au tournant des annĂ©es 1990-2000, le futur prĂ©sident frĂ©quente briĂšvement le Mouvement des citoyens (MDC), le petit parti de Jean-Pierre ChevĂšnement. Des images exhumĂ©es par Le Monde l’attestent : le 28 aoĂ»t 1999, dans un amphithéùtre de la facultĂ© de Perpignan, l’étudiant Macron Ă©coute les orateurs du parti souverainiste dĂ©tailler lors de l’universitĂ© d’étĂ© les « effets destructeurs du libĂ©ralisme europĂ©en ». Il entend aussi ChevĂšnement clamer la nĂ©cessitĂ© de faire « turbuler le systĂšme ». Mais il ne va pas jusqu’à adhĂ©rer au MDC. Prudent.

On a dit et Ă©crit qu’Emmanuel Macron avait pris sa carte au Parti socialiste (PS) dans une section parisienne. Pourtant, aprĂšs enquĂȘte, personne n’a jamais retrouvĂ© la trace du mystĂ©rieux brevet de socialisme. Et pour cause : le fichier du PS rĂ©vĂšle qu’Emmanuel Macron n’a jamais concrĂ©tisĂ© son adhĂ©sion. Il faut dire qu’il laisse soigneusement ses annĂ©es de jeunesse dans le flou et n’est pas Ă  quelques arrangements prĂšs. Pour sa carte du PS, Emmanuel Macron a laissĂ© dire.

A l’époque, le jeune Macron se contente de renifler la politique. A l’ENA, quand les plus engagĂ©s se choisissent dĂ©jĂ  des Ă©curies et dĂ©butent leur cursus honorum militant, lui reste Ă  l’écart. Vers la trentaine, l’inspecteur des finances rejoint les Gracques, un groupe de hauts fonctionnaires sociaux-libĂ©raux trĂšs dans l’air du temps. Puis il choisit d’intĂ©grer la Banque Rothschild, moins pour y faire carriĂšre que pour mettre de l’argent de cĂŽtĂ© « avant de faire de la politique », explique-t-il alors.

Le Rastignac d’Amiens brĂ»le les Ă©tapes sans perdre de temps en rĂ©unions de partis ou en interminables conseils municipaux. De temps en temps, il rĂ©dige des notes pour la campagne de François Hollande, mais se vante d’avoir Ă  peine regardĂ© la tĂ©lĂ©vision le soir de la victoire du candidat socialiste, le 6 mai 2012*.* Il Ă©tait, ce dimanche-lĂ , sur le point de conclure un « deal », un contrat en or, passĂ© entre la branche nutrition du groupe pharmaceutique Pfizer et NestlĂ© – prĂšs de 12 milliards de dollars, dont un bonus de 2 millions pour lui.

En politique, on se construit avec, et contre. Emmanuel Macron commence par se choisir des repoussoirs. Alors qu’il a rĂ©ussi Ă  pĂ©nĂ©trer le cƓur du pouvoir socialiste au secrĂ©tariat gĂ©nĂ©ral de l’ElysĂ©e, puis qu’il rĂšgne sur Bercy comme ministre de l’économie, il ne cesse de critiquer son patron. « GrĂące Ă  Hollande, je sais tout ce qu’il ne faut pas faire », confie-t-il un jour Ă  un sĂ©nateur, en exhibant devant lui un carnet oĂč il consigne les erreurs du chef de l’Etat. C’est l’époque oĂč il imite si mĂ©chamment le prĂ©sident socialiste qu’un soir de dĂźner Ă  Bercy, le philosophe Bernard Henri-LĂ©vy quitte la table et n’y revient que parce qu’on le rattrape par la manche.

« Emmanuel Macron est un homme qui ment. » François Hollande le dit tel quel aujourd’hui, mais en 2016, il ne comprend pas Ă  qui il a affaire. Manuel Valls l’a pourtant mis en garde : « Il a fait un meeting et les gens criaient “Macron prĂ©sident !” » Hollande ne voit pas les ambitions du trentenaire. Et croit dur comme fer son ministre de l’économie lorsque, en juillet 2016, alors qu’il lui propose de « reprendre sa libertĂ© », Macron promet : « Non, non, je finirai le mandat avec toi. » A cet instant pourtant, ce dernier a dĂ©jĂ  choisi la date de sa dĂ©mission.

DĂšs la fin de l’annĂ©e 2015, il a profitĂ© du dĂ©bat sur sa loi libĂ©ralisant l’économie (les fameux « cars Macron » Ă  petit prix) pour Ă©toffer son carnet d’adresses politique. En 2016, il s’est mis Ă  distiller ses ambitions Ă  quelques intimes :

« Je serai président de la République.
– Tu n’y arriveras pas, lui rĂ©pond le prĂ©sident du Parti radical de gauche et ministre de l’amĂ©nagement du territoire d’alors, Jean-Michel Baylet, qu’il tente de rallier Ă  son aventure.
– Jean-Michel, tout ce que j’ai entrepris dans ma vie, je l’ai rĂ©ussi. Et cette fois-ci encore je rĂ©ussirai. »

Il faut donner des repĂšres quand soi-mĂȘme on manque de bornes oĂč s’ancrer. « J’ai votĂ© pour ChevĂšnement en 2002, pour vous en 2007, pour Hollande en 2012 », confie un jour Emmanuel Macron Ă  François Bayrou, son alliĂ© centriste, sans que l’on sache s’il dit vrai. Pour rassurer l’électorat socialiste, il se cherche une « filiation », comme il dit. Un grand homme. Il choisit Michel Rocard (1930-2016). L’ancien premier ministre plaĂźt autant Ă  la gauche rĂ©formiste qu’à la droite europĂ©enne : tout Ă  fait son crĂ©neau. La gauche, du moins celle qui valorise l’entreprise et l’émancipation de l’individu, « c’est ma culture, mon origine, mon histoire familiale », assure le futur prĂ©sident sur les plateaux tĂ©lĂ©visĂ©s. Mais dans ses meetings, il pousse dĂ©jĂ  une musique diffĂ©rente : « Et de droite, et de gauche. »

Quelques annĂ©es auparavant, Michel Rocard avait ouvert Ă  l’AmiĂ©nois les portes du Paris qui compte, organisant pour lui des dĂ©jeuners avec Raymond Barre (1924-2007), François Bayrou, l’éditorialiste Jacques Julliard (1933-2023), la fine fleur du patronat, et mĂȘme, toujours dans la villa de Bougival (Yvelines) des Rocard, avec un certain
 Vincent BollorĂ©. En 2007, Michel Rocard figure parmi les invitĂ©s d’Emmanuel Macron le jour de son mariage avec Brigitte Trogneux, Ă  l’HĂŽtel Westminster du Touquet (Pas-de-Calais). Dix ans plus tard, en revanche, pas l’ombre d’un Emmanuel Macron lorsque Sylvie Rocard disperse les cendres de son mari face Ă  la mer, sous les cyprĂšs du village corse de Monticello. Depuis, le prĂ©sident n’a jamais conviĂ© la veuve de Michel Rocard Ă  l’ElysĂ©e. Et n’est pas allĂ© se recueillir devant la stĂšle de son mentor.

Combien de tĂȘte-Ă -tĂȘte ont-ils partagĂ© les yeux dans les yeux ? Tous le racontent : Emmanuel Macron a l’art de planter ses billes de verre bleues dans les vĂŽtres et de faire de vous la personne la plus importante au monde. Pour sĂ©duire, il sait aussi adapter son vocabulaire. Le prĂ©sident parle aussi bien la langue des hauts fonctionnaires que celle des banquiers anglo-saxons, celle des universitaires que celle des bars et des bistrots.

« C’est bibi qui paie », « un pognon de dingue »  Tout Ă  coup, en public, fleurissent des expressions qui ne viennent pas de la bourgeoisie d’Amiens. OĂč est-il donc allĂ© les chiper ? Certaines viennent du col du Tourmalet, dans les Hautes-PyrĂ©nĂ©es, oĂč il compte un vieil ami rencontrĂ© il y a trente-cinq ans, du temps oĂč il rendait visite Ă  sa grand-mĂšre. Ce copain de longue date s’appelle Eric Abadie, il est Ă©leveur de brebis et de porcs noirs. C’est chez lui, Ă  BagnĂšres-de-Bigorre, autour d’un chevreau rĂŽti, qu’Emmanuel Macron a entendu cette fameuse phrase : « Il suffit de traverser la rue pour trouver du travail. »

Dans la bouche du chef de l’Etat, ces mots-lĂ  ne rendent pas du tout pareil. L’éleveur le comprend aussitĂŽt et le prĂ©vient : « Manu, il y a des choses Ă  ne pas rĂ©pĂ©ter quand on est prĂ©sident de la RĂ©publique. » Pour Emmanuel Macron, « Jojo le gilet jaune », c’est le Français moyen qui « bosse » et qu’il ne faut pas trop « emmerder », mais beaucoup, dans le pays, entendent le mĂ©pris derriĂšre les formules faussement populaires. A l’automne 2018, les surnoms « Bibi » et « Jojo » se retrouvent sur les pancartes des « gilets jaunes », avec le reste du florilĂšge de ses petites phrases : « Les gens qui ne sont rien » 

Emmanuel Macron veut ĂȘtre aimĂ©, il y met toute son Ă©nergie, et la haine qui monte en cette annĂ©e 2018 dans le pays le sidĂšre. « Tu te rends compte, ils ont voulu entrer Ă  l’ElysĂ©e
 », glisse-t-il, livide, Ă  l’un de ses habituels complices lorsque, le 1er dĂ©cembre, ces mĂȘmes « gilets jaunes » saccagent l’Arc de triomphe. Au Puy-en-Velay, l’ambiance vire Ă  la chasse Ă  l’homme. A son retour Ă  Paris, le prĂ©sident peine Ă  s’en remettre : « Une femme m’a traitĂ© de “salope” et m’a dit : “J’espĂšre que tu vas crever sur la route !” », rapporte-t-il, encore secouĂ©, Ă  son alliĂ© du MoDem François Bayrou.

Pour calmer la colĂšre, Emmanuel Macron change de pied. Au diable les dĂ©ficits ! Il n’écoute ni le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral, Alexis Kohler, ni le premier ministre d’alors, Edouard Philippe, tenants de la rigueur budgĂ©taire, et lĂąche plus de 10 milliards d’euros. Idem au printemps 2020, quand explose l’épidĂ©mie de Covid-19 : il choisit les Français plutĂŽt que les finances publiques. Ce sera la politique du « quoi qu’il en coĂ»te ». Il l’explique franchement au quotidien britannique The Financial Times*,* en avril 2020, avec ses mots de tradeur : « Nous avons nationalisĂ© les salaires et le P&L [profit & loss] d’à peu prĂšs toutes nos entreprises. » Plus keynĂ©sien que libĂ©ral, finalement. Mais qui l’entend ?

« Comment tu sens les choses ? », « Ça s’ancre Ă  quoi ? » Dans des rafales de textos, Ă  toute heure du jour et de la nuit, le prĂ©sident cherche Ă  prendre le pouls de ce qu’il croit ĂȘtre la France. Et se fabrique une opinion, celle qui colle le mieux, selon lui, Ă  l’humeur du moment. « On n’a pas besoin d’un think tank, le think tank, c’est le prĂ©sident », disait StĂ©phane SĂ©journĂ©, alors conseiller Ă  l’ElysĂ©e, aux partisans d’Emmanuel Macron qui imaginaient crĂ©er une fondation.

C’est un signe : en six ans, le parti du prĂ©sident a changĂ© deux fois de nom, passant d’En marche ! Ă  La RĂ©publique en marche puis Ă  Renaissance, comme s’il ne parvenait pas Ă  fixer son identitĂ©. A Paris, ses locaux de la rue du Rocher, dans le 8e arrondissement, sont flambant neufs – Emmanuel Macron s’est occupĂ© en personne de valider l’installation d’un ascenseur (le chef du parti, Stanislas Guerini, avait dĂ» patienter longtemps en attendant le « go » prĂ©sidentiel
) –, mais les idĂ©es y meurent avant de naĂźtre, et de toute façon le patron dit ce qu’il veut, sans tabou.

Octobre 2019. Le prĂ©sident donne son premier grand entretien sur l’immigration et choisit pour cela le magazine d’extrĂȘme droite Valeurs actuelles. Beaucoup de ses soutiens sont stupĂ©faits. L’interview a lieu dans l’A330 prĂ©sidentiel, verre de whisky tourbĂ© Ă  la main. Au dĂ©tour d’une rĂ©ponse, le chef de l’Etat dĂ©signe les Français d’origine maghrĂ©bine par un mot inattendu de sa part : les « rabzouz ». Personne n’en a jamais rien su. Le terme n’apparaĂźt Ă©videmment pas dans la version publiĂ©e, relue par l’ElysĂ©e. « Vous ĂȘtes trĂšs bon quand vous venez sur notre terrain », avait dĂ©jĂ  remarquĂ© Geoffroy Lejeune, le directeur de la rĂ©daction de Valeurs, quelques mois plus tĂŽt*.* RĂ©ponse d’Emmanuel Macron : « C’est celui que je prĂ©fĂšre. »

Artisan de l’opĂ©ration, montĂ©e dans le dos d’Alexis Kohler, le conseiller du prĂ©sident Bruno Roger-Petit est le champion de la « triangulation », cette tactique politique qui consiste Ă  piocher certains thĂšmes chez l’adversaire – en l’occurrence l’extrĂȘme droite – pour mieux l’étouffer, du moins en principe.

GrĂące Ă  Bruno Roger-Petit, Emmanuel Macron rencontre le monarchiste Thierry Ardisson, vedette de la tĂ©lĂ©vision des annĂ©es 1990, l’homme qui, en 2001, avait humiliĂ© Michel Rocard d’une question obscĂšne : « Sucer, c’est tromper ? » Un dĂźner est organisĂ© en janvier 2024 entre « l’homme en noir », Emmanuel et Brigitte Macron au restaurant Da Rosa, dans le 7e arrondissement de Paris. A table, Thierry Ardisson invente un slogan malin pour vendre le bilan Macron aux europĂ©ennes : « Quand c’est bon, faut le dire ! » L’idĂ©e est enterrĂ©e, mais quatre mois plus tard, l’anar de droite est dĂ©corĂ© de la LĂ©gion d’honneur des mains du chef de l’Etat.

Est-ce pour Ă©pouser l’air du temps ou simplement pour la flatter ? Emmanuel Macron multiplie les Ă©gards envers cette droite dĂ©cliniste qui progresse sans cesse dans les urnes et les mĂ©dias. En septembre, l’essayiste d’extrĂȘme droite canadien Mathieu Bock-CĂŽtĂ©, l’une des tĂȘtes d’affiche de CNews, a la surprise de recevoir un appel de l’ElysĂ©e. Anastasia Colosimo, conseillĂšre chargĂ©e de la presse, lui propose d’accompagner le prĂ©sident dans la dĂ©lĂ©gation de son voyage au Canada prĂ©vu fin septembre. Panique Ă  l’ambassade de France Ă  Ottawa, qui craint l’incident diplomatique : le Canada ne saurait dĂ©rouler le tapis rouge Ă  un indĂ©pendantiste quĂ©bĂ©cois. De toute façon, le souverainiste Bock-CĂŽtĂ© dĂ©cline : « Je suis pour que le QuĂ©bec sorte du Canada ! »

Emmanuel Macron soigne aussi son lien avec la vedette de la chaĂźne de BollorĂ©, Pascal Praud. « TPMG, Tout pour ma gueule », voilĂ  pourtant comment l’animateur surnomme le prĂ©sident en coulisse. Mais, comme toujours, le chef de l’Etat croit pouvoir le mettre dans sa poche. Lorsque, en novembre, Pascal Praud perd son pĂšre, Roger, et lui rend hommage dans les colonnes du Journal du dimanche, il reçoit un long texto de condolĂ©ances du prĂ©sident : « Courage ! » Son Ă©mission « L’Heure des pros » continue d’éreinter la Macronie.

« HĂ© ho, les enfants, arrĂȘtez avec vos idĂ©es de bobos, le pays est Ă  droite ! », rĂ©pĂ©tait dĂ©jĂ  Macron Ă  ses conseillers au dĂ©but de son premier mandat. Il en est dĂ©sormais convaincu : pour lui, la procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e (PMA) ouverte Ă  toutes les femmes, votĂ©e en 2021, ne passerait pas en 2024. Comme son Ă©pouse, Brigitte, qui a votĂ© Nicolas Sarkozy en 2012, il pense que les rĂ©formes de sociĂ©tĂ©, mĂȘme largement plĂ©biscitĂ©es, ne lui font pas gagner de voix.

D’ailleurs, ce sont les ministres sarkozystes qu’il prĂ©fĂšre, plus politiques que les autres mais aussi plus distrayants : l’ancien patron de Beauvau GĂ©rald Darmanin, le Nordiste qui lui a « vendu » l’idĂ©e de la dissolution ; la reine des intrigues, Rachida Dati, poursuivie pour corruption, mais qu’Emmanuel Macron tenait mordicus Ă  nommer Ă  la culture pour « secouer le petit entre-soi des artistes », comme il le dit. Et surtout son « chouchou » du ministĂšre des armĂ©es, SĂ©bastien Lecornu, le fana « mili » implantĂ© en Normandie et admis dans le premier cercle. Le prĂ©sident lui a glissĂ© un « PrĂ©pare-toi » dĂ©but dĂ©cembre, en voyage officiel en Arabie saoudite, pour dire qu’il voulait le promouvoir Ă  Matignon, alors que le fauteuil de premier ministre Ă©tait encore vacant.

« Je n’ai jamais aimĂ© Sarkozy. Il a un problĂšme de vulgaritĂ© et de rapport Ă  la RĂ©publique », confiait pourtant Emmanuel Macron au Monde, Ă  Bercy, en 2015. A l’époque, les deux hommes se dĂ©testaient. « Macron, ce rigolo qui nous sert de ministre », disait Nicolas Sarkozy devant ses troupes. Le prĂ©sident sait exactement Ă  quoi s’en tenir avec ce prĂ©dĂ©cesseur. L’ami Richard Ferrand, ex-prĂ©sident de l’AssemblĂ©e nationale, lui a expliquĂ© le personnage, et rapportĂ© quelques propos gratinĂ©s. Par exemple, quand Macron s’est laissĂ© photographier, en 2018, sur l’üle antillaise de Saint-Martin, entre deux jeunes hommes torse nu : « Franchement, Macron qui lĂšche le torse de types noirs et musclĂ©s. » Une vacherie parmi d’autres.

Mais la politique exige des accommodements : le prĂ©sident a cette fois besoin des Ă©lecteurs du centre droit. Alors il continue de le recevoir rĂ©guliĂšrement Ă  l’ElysĂ©e, de l’appeler. A chaque remaniement, Sarkozy donne son avis, pousse des noms, formule des veto
 sans ĂȘtre toujours Ă©coutĂ©. En dĂ©cembre, il n’a pas rĂ©ussi Ă  faire barrage Ă  François Bayrou pour Matignon. « Macron est insaisissable, dit Sarkozy autour de lui. On passe deux heures avec lui, c’est sympa, et Ă  la fin, on ne sait pas avec qui on a parlĂ©. »

Le chef de l’Etat a Ă©galement fait du sarkozyste Thierry SolĂšre son conseiller politique officieux et l’agent de liaison entre l’ElysĂ©e et les dirigeants du Rassemblement national. GrĂące Ă  lui, Emmanuel Macron a le contact avec Marine Le Pen et consulte personnellement « madame la prĂ©sidente » pour s’assurer qu’elle ne censurera pas le premier ministre. En 2017, pourtant, il voyait en elle une reprĂ©sentante de l’« anti-France » et promettait, au soir de sa victoire, au Louvre, de faire reculer le vote pour l’extrĂȘme droite.

« Quand vous avez Ă©tĂ© Ă©lu, vous aviez promis qu’il n’y aurait plus de SDF », a rĂ©cemment rappelĂ© Ă  Emmanuel Macron le pĂšre Camille Millour, qui officie Ă  l’église parisienne Notre-Dame-des-Champs, dans le 6e arrondissement de Paris, et qu’il croise parfois au restaurant La Rotonde. « Gardez le contact avec eux », a demandĂ© en juillet ce sympathique prĂȘtre qui distribue chaque jour, avec des fidĂšles, des petits dĂ©jeuners gratuits Ă  quelque 70 sans-abri. Le prĂ©sident est restĂ© silencieux. « ZĂ©ro SDF », c’était l’une de ses promesses-chocs en 2017


L’une de ses autres promesses, c’était celle d’une « sociĂ©tĂ© ouverte ». Le 1er avril 2017, il saluait Marseille ainsi : « Les ArmĂ©niens, les Comoriens, les Italiens, les AlgĂ©riens, les Marocains, les Tunisiens, les Maliens, les SĂ©nĂ©galais, les Ivoiriens, j’en vois des tas d’autres, que je n’ai pas citĂ©s, mais je vois quoi ? Des Marseillais, je vois des Français ! » Alors, quand fin 2019, devant ses troupes, le prĂ©sident parle de l’immigration comme d’un « problĂšme » et d’un « dĂ©fi qui fait peur », beaucoup de ses soutiens se sentent flouĂ©s. « On croirait revivre le film La TraversĂ©e de Paris*, de Claude Autant-Lara, avec la fameuse rĂ©plique de Jean Gabin : “Salauds de pauvres” », lit-on dans une tribune publiĂ©e dans Le Monde*. L’auteur n’est pas n’importe qui : l’historien François Dosse, le prof de Sciences Po du jeune Macron, l’homme qui l’a mis en relation avec le philosophe Paul RicƓur et qui, en 2017, avouait avoir pour lui « les yeux de ChimĂšne ». En retour, il reçoit un courrier de sept pages Ă  l’encre bleue d’un prĂ©sident furieux de cette « drĂŽle de mĂ©thode ». Lui seul a le droit de trahir l’autre.

L’immigration, c’est le sujet sur lequel planchent Emmanuel Macron, Alexis Kohler et le ministre de la santĂ© d’alors, AurĂ©lien Rousseau, un jour d’automne 2023. Lors d’une rĂ©union Ă  l’ElysĂ©e, ils Ă©voquent l’hĂŽpital public et l’aide mĂ©dicale d’Etat aux Ă©trangers en situation irrĂ©guliĂšre, que la droite veut supprimer.

« Le problĂšme des urgences dans ce pays, c’est que c’est rempli de Mamadou, lance le chef de l’Etat.
– Non, ce n’est pas le premier problĂšme de l’hĂŽpital, nuance le ministre de la santĂ©.
– Si, si. Vas-y, tu vas voir ! »

Comme souvent, Alexis Kohler tente de polir les certitudes prĂ©sidentielles, mais pas assez pour Ă©viter une dose de « prĂ©fĂ©rence nationale » dans l’attribution des allocations familiales, avant la censure par le Conseil constitutionnel.

Le 9 juin, lorsqu’il dissout l’AssemblĂ©e nationale, Emmanuel Macron n’a pas compris que la gauche sociale-dĂ©mocrate, qu’il avait dĂ©tournĂ©e de son cours, va s’unir et revenir dans son lit d’origine. Le 7 juillet, les Français portent en tĂȘte des Ă©lections lĂ©gislatives les gauches alliĂ©es dans un Nouveau Front populaire. Mais pas question de donner trop d’importance Ă  ces Lucie Castets, ces Marine Tondelier, ces « cocottes », comme il les appelle en petit comitĂ©. Fin aoĂ»t, le prĂ©sident livre son diagnostic au cours d’une rĂ©union : « Les Français ne veulent pas de la gauche. » Pour lui, ils veulent moins d’écologie et moins d’immigrĂ©s.

Ironie de l’histoire, le prĂ©sident propose Matignon Ă  un homme d’une social-dĂ©mocratie classique, celle de sa jeunesse, la fameuse deuxiĂšme gauche de la CFDT et de Rocard. Laurent Berger se balade Ă  vĂ©lo quand il reçoit le coup de fil du secrĂ©tariat particulier de l’ElysĂ©e. Jean et baskets aux pieds, l’ex-leader de la CFDT franchit la grille du Coq le 27 aoĂ»t. « Qu’est-ce que tu as fait comme connerie avec la dissolution ? », ose en arrivant dans le bureau prĂ©sidentiel l’ex-premier opposant Ă  la rĂ©forme des retraites.

« Je te demande d’ĂȘtre premier ministre, dit Emmanuel Macron.
– N’importe quoi. T’es sĂ©rieux ?
– Oui, trĂšs sĂ©rieux. »

La sĂ©duction de l’ancien banquier d’affaires n’a jamais opĂ©rĂ© sur le nouveau cadre dirigeant du CrĂ©dit mutuel. Laurent Berger Ă©grĂšne tout de mĂȘme un programme de gouvernement, aussitĂŽt interrompu par le chef de l’Etat : « Je ne veux pas qu’on dĂ©fasse ce que j’ai fait. » « C’est non, alors », rĂ©pond Berger. Emmanuel Macron insiste :

« Je n’accepte pas ta rĂ©ponse, reviens me voir jeudi.
– J’ai un vrai boulot, j’ai du travail, moi.
– Si tu veux, j’appelle tes patrons
 », insiste le prĂ©sident.

Les jours suivants, il lui tĂ©lĂ©phone Ă  nouveau, longuement, puis le fait approcher par François Bayrou et Alexis Kohler. Mais Laurent Berger n’a pas confiance en Emmanuel Macron. Pour lui, le prĂ©sident est incapable de nouer des compromis. Encore et encore du bluff, se dit-il, alors que lui reviennent en mĂ©moire petits mensonges et entourloupes montĂ©s par ce mĂȘme Emmanuel Macron lorsqu’ils nĂ©gociaient ensemble, l’un Ă  Bercy, l’autre Ă  la CFDT. Les promesses faites Ă  la gauche et les cadeaux offerts au patronat, les discussions confidentielles rapportĂ©es au Medef, la volontĂ© affichĂ©e d’écarter les syndicats, le double jeu durant la rĂ©forme des retraites
 Laurent Berger a tout consignĂ© dans 23 carnets Moleskine, comme l’inventaire de ce double Ă©tat permanent.

Racisme ✓
Homophobie ✓
Misogynie ✓
Nombrilisme ✓

Ce mec est un tel danger pour la France


« Le problĂšme des urgences dans ce pays, c’est que c’est rempli de Mamadou, lance le chef de l’Etat.

Comme son Ă©pouse, Brigitte, qui a votĂ© Nicolas Sarkozy en 2012, il pense que les rĂ©formes de sociĂ©tĂ©, mĂȘme largement plĂ©biscitĂ©es, ne lui font pas gagner de voix.

Mais pas question de donner trop d’importance Ă  ces Lucie Castets, ces Marine Tondelier, ces « cocottes », comme il les appelle en petit comitĂ©. Fin aoĂ»t, le prĂ©sident livre son diagnostic au cours d’une rĂ©union : « Les Français ne veulent pas de la gauche. » Pour lui, ils veulent moins d’écologie et moins d’immigrĂ©s.

** Le soir venu, le prĂ©sident les retrouve pour se distraire aprĂšs des journĂ©es harassantes. « Petit pĂ©dĂ© », « grande tarlouze »  VoilĂ  comment ils se parlent, par textos ou autour de leurs whiskys japonais ou Ă©cossais – le favori du prĂ©sident est le Lagavulin 16 ans d’ñge –, entre deux imitations d’acteurs des annĂ©es 1960 et de citations de Michel Audiard.**

Conseiller de Gabriel Attal quand il Ă©tait premier ministre, Louis Jublin assure que l’ElysĂ©e avait baptisĂ© Matignon « la cage aux folles ».